Le changement, c’est maintenant ou jamais

Charlie Hebdo du 2 janvier 2013 – Jean-Yves Camus
Alors que 2012 s’achève avec un gouvernement déjà en crise, Hollande serait bien inspiré de donner en 2013 le coup de barre à gauche tant attendu.
ooopsUne majorité de français a voté en avril et mai derniers pour un apaisement de la vie politique : cela est réussi, sans doute au-delà des espérances. La même majorité a aussi choisi un candidat alors ouvertement hostile à l’emprise de la finance et qui laissait entrevoir une espérance de changement social. Or, sept mois après, le compte n’y est pas : le cap n’est toujours pas défini entre transformation sociale, social-démocratie et social-libéralisme, sur lequel on s’oppose jusqu’au sein du cercle des proches conseillers du président.
La gauche de gouvernement n’a au fond pas résolu l’équation qui se posait à elle déjà en 1981 : comment satisfaire une base électorale qui conteste ouvertement les excès et les dérives du capitalisme mondialisé, tout en faisant le deuil du renversement dudit système, en passant de la crédibilité de contestation à la crédibilité de gestion. On peut y voir trois raisons qui se cumulent pour rendre la partie difficile aux socialistes. La première est que la droite n’a pas encore admis, en bientôt un siècle et demi de République, la légitimité de son adversaire à gouverner.
Un autre « Grand Soir » est possible.
Un gouvernement de gauche serait par essence un accident, une tromperie, comme pour donner les clés de la maison à un invité mal élevé qui vous la rendrait saccagée. On l’a bien vu à propos de la proposition de nationalisation temporaire de Florange : la droite et le patronat sortent tout de suite les gros mots, sur lesquels embrayent nombre de (souvent nouveaux) riches pour qui la spoliation communisante est déjà à l’œuvre. Face à ce tir de barrage, le moins que l’on puisse dire est que la puissance de feu de la gauche dans la riposte est réduite, comme si elle avait pris son parti d’un rapport de force qui lui est défavorable.
La seconde raison est qu’à l’intérieur de la gauche elle-même, une offensive idéologique est en cours, qui somme les partisans d’une politique économique et sociale plus volontariste d’abandonner leur supposée nostalgie marxisante. La gauche de transformation ? C’est la Corée du Nord comme perspective, nous dit Attali. Sauf que la gauche du renoncement, c’est la droite d’exclusion, d’isolement et du coup de menton comme avenir électoral. Il faut être sérieux : qui vient d’écrire que la nationalisation de certaines banques devait être envisagée ? Jacques Julliard. Qui affirme que la politique de restriction de la dépense publique tue toute perspective d’amélioration des chiffres désastreux du chômage ? Elie Cohen. On conviendra aisément qu’il ne s’agit pas là des partisans du « grand soir ».

le-changement-et-maintenant

Il est donc grand temps de prendre, pas de réclamer, le droit de dire qu’il existe une autre voie possible. Qu’on peut nationaliser, décider une fiscalité qui prend davantage à ceux qui vivent de la rente et de la spéculation, séparer l’activité des banques de dépôts et celle des sociétés de finance, et, allez, osons le mot, remettre l’argent à sa place.
Nul ne doit reprocher au président de la République de dîner aujourd’hui avec les patrons qu’il vilipendait hier. Ce n’est pas le principe du dîner qui compte mais le menu qui le compose.Autrement dit, le chef de l’État et le gouvernement doivent bien faire savoir que la puissance publique n’est pas tenue d’être à la remorque des intérêts catégoriels, comme la droite l’a toujours été dans sa vision du monde, le recrutement de ses dirigeants et jusqu’au financement de ses campagnes. Or les socio-libéraux ne sont pas loin de cet état d’esprit, n’y ajoutant que le correctif du « filet social », dans la mesure où il ne coute pas trop cher.
imagesCAWUO001Si leur vision l’emporte au sommet de l’État, la colère populaire qui est sourdement palpable, y compris dans une classe moyenne en voie de paupérisation, emportera ce qui reste de crédit de la gauche. C’est la raison pour laquelle le PS doit être le porteur des attentes et non le simple porte-voix des décisions gouvernementales. C’est la raison pour laquelle les politologues doivent expliquer sans cesse que c’est la succession des alternances non productrices de rupture qui ont consolidé le vote FN.
Ne pas saisir cela, c’est prendre le risque qu’en 2017 la droite, qui, elle, n’a jamais d’états d’âme, impose la rupture radicale que Sarkozy n’a pas pu achever.

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