Justice – Injure publique : Laurent Ruquier peut-il être condamné ?

Nouvel Obs 26-01-2013 Par Mathieu Davy Avocat
Ruquier en correctionnelle face à Marine Le Pen : et si l’humour ne suffisait pas ?
LE PLUS. Ce n’est pas fini pour Laurent Ruquier, dans l’affaire qui l’oppose à Marine Le Pen après qu’il a commenté des dessins de « Charlie Hebdo » sur le plateau d' »On n’est pas couché ». L’animateur-humoriste est renvoyé devant le Tribunal correctionnel. Que risque-t-il ? De quoi l’accuse-t-on vraiment ? Éléments de réponse avec Mathieu Davy.

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Laurent Ruquier sur le plateau du Grand Journal sur Canal + en 2008 (P. KOVARIK/AFP).
 Laurent Ruquier sera renvoyé devant le tribunal correctionnel. Tel en a décidé Monsieur le Procureur de la République. Que cela signifie-t-il ? D’un point de vue procédural, Marine Le Pen a déposé une plainte pénale suite à des incidents survenus sur le plateau de « On n’est pas couchés ». À deux reprises, l’animateur Laurent Ruquier a montré et commenté des caricatures tirées de l’hebdomadaire « Charlie Hebdo », l’une représentant la présidente du Front national sous la forme d’un étron ; l’autre, figurant l’arbre généalogique des Le Pen sous la forme d’une croix gammée.
 En renvoyant l’animateur en correctionnel pour injure publique, le procureur, « autorité de poursuite », a estimé que la plainte de Marine le Pen était recevable. S’il elle n’était pas fondée, il l’aurait classée sans suite. Bien entendu, cela ne préjuge en rien de la décision finale du Tribunal, tant l’analyse de ce cas est incertaine.
 En effet, il y a clairement débat, par l’opposition de deux forces, la protection individuelle contre l’injure publique (qui parait ici constituée, au moins sur la croix gamée), et la liberté de caricature humoristique.
 Pourquoi l’injure peut être qualifiée
En l’espèce, il pourrait y avoir injure, car ces dessins peuvent être considérés comme outrageants. Est injurieuse une expression outrageante, quel que soit son mode d’expression, écrit, oral, ou graphique.
 Ensuite, représenter un responsable politique sous la forme d’un étron, est évidemment dévalorisant, rabaissant, sur la forme comme sur le fond, sur le thème du « nauséabond ».
 Quant au dessin de la croix gammée, il vient directement sur l’idéologie néonazie, « la plus injurieuse qui soit » (dès lors qu’on ne la partage pas), comme renvoyant aux heures les plus sombres de notre histoire. D’ailleurs par le passé, Jean-Marie Le Pen a déjà été traité de nazi, et a parfois porté plainte et gagné.
 Qui pourrait considérer que l’assimiler à une déjection, et à une croix gammée, n’est pas l’insulter, l’outrager ? Peut-on simplement répondre, en face, « ne demander qu’à en rire » ?
Ce que la défense peut plaider
Bien entendu, en matière d’injure, de diffamation, les juges accordent une importance particulière au contexte : qui s’exprime, dans quel environnement, devant quel public, et contre qui.
 En l’espèce, les dessins ont été montrés dans une émission de divertissement, par un animateur humoriste (ou l’inverse), dans le cadre d’une revue de presse caustique et en pleine campagne présidentielle. Tout ceci plaide pour l’exception de parodie.
 Dans ce cas, les juges considèrent que ce contexte humoristique doit être très clair dans l’esprit du public. Prouver, qu’il était évident que le but (premier) de Laurent Ruquier, était bien de faire rire, de tourner l’actualité, et ses « sujets », en dérision.  D’autant plus que le droit à la critique est renforcé vis-à-vis des personnalités politiques, notamment en campagne, c’est-à-dire aux heures ouvrées de la chasse aux suffrages.
 Quant au « sujet », il pourrait être tentant d’argumenter, qu’on ne rapproche pas « par hasard » une croix gamée, d’un camp d’extrême droite. Il existe bien une jurisprudence d’extrême droite à ce sujet, et des condamnations ont déjà été prononcées depuis 30 ans, non plus pour injure, mais pour propos négationistes, révisionnistes, ou apologistes…
 En clair, le juge va devoir trancher, sur le point de savoir si les dessins, notamment celui de la croix gammée (l’étron devrait passer, si j’ose dire), sont suffisamment graves pour justifier une condamnation pour injure publique, ou si en l’espèce, la liberté d’expression doit primer.
 Ruquier peut être condamné
Un exemple récent prouve que la condamnation est un risque réel, y compris sous le « prétexte » humoristique. « L’humoriste » Mathieu Madénian vient d’être condamné pour injure publique, pour avoir traité les électeurs de Marine Le Pen de « fils de putes » sur le plateau de Jean-Marc Morandini (1.000 euros d’amende avec sursis et 1.500 de dommages et intérêt en faveur du Front national).
 Il existe donc bien des limites, et les défenseurs de la liberté d’expression ne peuvent que s’en réjouir, car c’est la renforcer, que de lui donner un cadre clair.
 L’humour, ou plutôt  l’humoriste, ne fait pas tout.
 Au-delà d’être réchauffés, tellement bien-pensants, et parfaitement excessifs, les propos de Mathieu Madénian ne sont pas drôles. Et s’incrivent bien comme une insulte « sérieuse ».
 Ceux de Laurent Ruquier, au soutien des dessins de Charlie, le seront-ils, aux yeux du juge ? peut-être. En tout cas, on ne demande qu’à le croire.
Édité par Henri Rouillier  Auteur parrainé par Aude Baron

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Deux phénomènes peuvent amener à une manipulation dans la prise en compte des informations par notre conscience : --> Le mirage qui voile et cache la vérité derrière les brumes de la sensiblerie et de la réaction émotionnelle. --> L’illusion qui est une interprétation limitée de la vérité cachée par le brouillard des pensées imposées. Celles-ci apparaissent alors comme plus réelles que la vérité qu’elles voilent, et conditionnent la manière dont est abordé la réalité … A notre époque médiatisée à outrance, notre vigilance est particulièrement requise !
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