Maisons de retraites – Protéger, enfermer, surveiller : Pour ou contre le bracelet électronique

Rue 89 26/02/2013 Camille Polloni | Journaliste

Faut-il mettre des bracelets électroniques aux vieux ?

Le débat autour de la « privation de liberté » des personnes âgées dépendantes, vu par le prisme d’une technologie de plus en plus utilisée.
Les maisons de retraite peuvent-elles être comparées à des prisons ? Leurs pensionnaires sont-ils « libres » ? Il a suffi que Jean-Marie Delarue, contrôleur général des lieux de privation de liberté, demande à entrer dans certains établissements de personnes âgées pour que l’on pose des questions dérangeantes.
Il veut pouvoir parler avec le personnel et les pensionnaires, voir dans quelles conditions ils vivent et travaillent, comme il fait déjà dans des établissements de santé (par exemple des hôpitaux psychiatriques). Sa proposition scandalise les responsables de maison de retraite, qui reprochent deux choses à Jean-Marie Delarue :
Assimiler les maisons de retraite à des prisons. Or, il prend bien soin de différencier les deux univers, expliquant sur Europe 1 : « Je ne veux pas faire prendre les maisons de retraite pour des prisons, et réciproquement. Surtout pas. »
Classer les maisons de retraites dans les « lieux de privation de liberté ». Mais s’il parle de « lieux clos », le contrôleur reste mesuré et semble hésiter :  « Les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) ne sont évidemment pas des lieux de privation de liberté assimilables à ceux qui, par nature, ont été créés comme lieux de captivité.
En revanche, parce qu’ils accueillent des populations dépendantes, ces Ehpad sont contraints d’assurer leur sécurité. Pour ce faire, des établissements sont obligés d’être fermés ; la faculté d’aller et de venir n’est alors que théorique. »
Protéger, enfermer et surveiller
L’un des moyens pour surveiller les allées et venues des pensionnaires, c’est de les placer sous bracelet électronique. Cette possibilité est pratiquée depuis le début des années 2000. Elle est assez emblématique de l’ambiguïté de ses établissements : dans le même geste, protéger, enfermer et surveiller.
Concrètement, les personnes âgées portent un bracelet ressemblant à une montre, et peuvent actionner un bouton d’appel pour alerter le personnel. Certains bracelets sont équipés d’un système de géolocalisation, pour pouvoir retrouver le pensionnaire qui serait sorti de la maison de retraite.
1- Pour
Prévenir les fugues et l’errance
Eviter les accidents
Le débat sur le bracelet électronique pour les personnes âgées dépendantes a resurgi à l’occasion d’un récent fait divers.
Fin janvier, une nonagénaire malade d’Alzheimer est morte de froid à Paris, dans le jardin de l’établissement qui l’accueillait. Elle avait échappé à la surveillance du personnel médical. Immédiatement, son gendre a regretté l’absence de bracelet électronique : « Lors de son premier séjour à Sainte-Périne, du 3 au 9 novembre 2012, les médecins lui avaient fait porter un bracelet. Pourquoi ont-ils considéré qu’il n’était pas nécessaire cette fois-ci ? »
Empêcher la déambulation
Les maladies neuro-dégénératives impliquent souvent des comportements dits « déambulatoires ». La personne âgée peut : se perdre dans un environnement familier ; partir se promener, sans prévenir, et sans conscience du danger ; se rendre dans des lieux lui rappelant son passé (ancienne maison, ancien travail, etc.) ; sortir nue ou insuffisamment vêtue.
Si ces épisodes de « fugue » ne se terminent pas toujours par des accidents, ils peuvent poser des problèmes de santé (déshydratation, froid), de dignité, ou simplement susciter l’inquiétude des proches.
Le bracelet électronique semble donc une solution à même d’éviter ces désagréments, plus ou moins graves, mais qui de toute façon mettent en cause la responsabilité des établissements gériatriques.
Rassurer les familles
En ajoutant une alerte « automatique » à la surveillance humaine, le bracelet électronique permet de tranquilliser les proches, enfants, petits-enfants et conjoint du pensionnaire.
S’ils se fient à cette technologie, c’est qu’elle leur épargne une inquiétude excessive sur un éventuel défaut de personnel. Surtout dans un contexte où les professionnels dénoncent régulièrement le manque d’effectifs à l’occasion de chaque « fugue » médiatisée.
Contre
Un signal liberticide
Le « bracelet électronique », c’est pour les condamnés
Tout de même, un bracelet électronique, ça fait davantage penser à une peine alternative à la prison qu’à un bouton d’alarme. Dans l’un des établissements qui l’utilise, près de Lille, il « déclenche le verrouillage de la porte de l’établissement dès qu’un pensionnaire s’en approche ».
Pour remédier à ce problème cosmétique, une société propose de les remplacer par des puces électroniques.
Pour ou contre 26/02/2013
Camille Polloni | Journaliste
 Tout de même, un bracelet électronique, ça fait davantage penser à une peine alternative à la prison qu’à un bouton d’alarme. Dans l’un des établissements qui l’utilise, près de Lille, il « déclenche le verrouillage de la porte de l’établissement dès qu’un pensionnaire s’en approche ».
Pour remédier à ce problème cosmétique, une société propose de les remplacer par des puces électroniques.
Le principe reste le même : la puce RFID, appelée « étiquette » par son créateur, se colle aux vêtements des patients.
Cette technologie, toujours selon celui qui la promeut, serait « moins agressive » que le bracelet, « très mal perçu » par les familles, le personnel et le résident lui-même.
Le problème du consentement
Dans le cas lillois cité plus haut, les résidents « ne sont pas du tout réticents, mais ne comprennent pas tous », reconnaissait la responsable du projet, interrogée en 2009.
C’est un élément troublant dans l’analyse du dispositif. Alors même qu’un condamné doit donner son accord pour être équipé d’un bracelet électronique, ce n’est pas le cas pour une personne âgée en mauvaise santé mentale. Sa famille et le personnel soignant peuvent décider ensemble.
Un moyen de surveiller les salariés
En 2010, la Commission nationale informatique et libertés a rendu un avis sur l’utilisation du bracelet électronique en maisons de retraite :
« Il s’avère que ces systèmes permettent effectivement de surveiller les résidents, mais parfois aussi, de façon détournée, les salariés travaillant dans ces établissements. […]
Le directeur d’un des établissements a recours à l’application tant pour vérifier les diligences des salariés à répondre aux sollicitations que pour obtenir des éléments de preuve lors de litiges ou contentieux avec un salarié, un résident et/ou son représentant. »
Autres réserves, la Cnil note un « défaut d’information » des familles et des pensionnaires sur le fonctionnement du bracelet, et des problèmes de sécurisation informatique.

A propos kozett

Deux phénomènes peuvent amener à une manipulation dans la prise en compte des informations par notre conscience : --> Le mirage qui voile et cache la vérité derrière les brumes de la sensiblerie et de la réaction émotionnelle. --> L’illusion qui est une interprétation limitée de la vérité cachée par le brouillard des pensées imposées. Celles-ci apparaissent alors comme plus réelles que la vérité qu’elles voilent, et conditionnent la manière dont est abordé la réalité … A notre époque médiatisée à outrance, notre vigilance est particulièrement requise !
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