Les Inrocks – 19/03/2013 – l’Edito de Frédéric Bonnaud

Jérôme Cahuzac (Reuters/ Charles Platiau)
1. Je suis abonné à Mediapart depuis le 3 avril 2008. À ce moment-là, presque un an après son élection, Sarkozy était moins mal en point que François Hollande aujourd’hui, la France réintégrait le commandement de l’Otan et les enseignants-chercheurs comprenaient leur douleur. Mediapart était alors perçu comme une anomalie mort-née, un combat d’arrière-garde. Si je me flatte d’être parfois pigiste à Mediapart, le temps d’une émission de télévision en ligne, je ne tire aucune fierté de la précocité de mon abonnement. J’avais seulement besoin de munitions pour nourrir mon antisarkozysme radiophonique et journalier. Et ces cartouches, Mediapart me les fournissait sous forme non d’opinions mais d’informations de première main. Par exemple, quand Laurent Mauduit dénonçait comme un “scandale d’État” la décision sarkozyste de recourir à la procédure arbitrale pour clore la longue bataille entre Bernard Tapie et le Crédit Lyonnais. Décision profitable à Tapie et douloureuse pour le contribuable ; scandale qui n’en finit plus de rebondir encore aujourd’hui et qui empoisonne les nuits washingtoniennes de Christine Lagarde.
2. En cinq ans, Mediapart a gagné bien des batailles et beaucoup de lecteurs. Le journal est même devenu rentable. Mais “l’affaire Cahuzac” a été l’occasion de constater que la détestation de Mediapart demeurait chose très partagée parmi les élites politiques et journalistiques – qui salivent littéralement à chaque nouvelle annonce de sa chute prochaine. Depuis les prétendues révélations du Journal du dimanche du 9 février dernier (“Les Suisses blanchissent Cahuzac”), j’ai beaucoup entendu, prononcés de gourmande façon, les mots fatals : “Alors, ils se sont plantés, tes copains ?” Je ne pense pas, non. Mais surtout, je ne comprendrai jamais comment on peut exiger “des preuves ! des preuves !”, alors que sur le fameux enregistrement, on entend Cahuzac lui-même dire en substance que “ça le fait chier d’avoir un compte en Suisse et que l’UBS n’est quand même pas la plus discrète des banques…” C’est lui qui le dit et il ne conteste même pas l’authenticité de cet enregistrement ! S’il disait “C’est pas moi, c’est un faux !” Mais là, non, il n’explique rien sur la bande elle-même et personne ne le bouscule un peu pour connaître sa version. S’il rigolait avec son chargé d’affaires, si c’est une blague courante parmi les chirurgiens capillaires de prétendre qu’on a un compte planqué en Suisse alors que non, bien sûr que non, quelle idée…, qu’il le dise ! Rien. Et il se garde bien d’attaquer Mediapart pour faux, usage de faux, contrefaçon, imitation, emploi abusif de Patrick Sébastien, que sais-je. Il semblerait que la justice aussi soit arrivée à la conclusion que la bande n’a pas été manipulée. Alors ?
3. Alors ça ne suffit pas. Ça ne suffira jamais. En France, on considère que le journalisme, ça ne consiste pas à dévoiler aux citoyens les pratiques délictueuses de ceux qui sont censés les représenter et agir en leur nom. Ça, c’est bon pour les films américains. Ici, c’est considéré comme la plus basse des démagogies et une insupportable atteinte à la vie privée. Si le ministre délégué au Budget d’un gouvernement de gauche, grand ordonnateur de la plus rigoureuse austérité, a dissimulé en Suisse de l’argent au fisc, cette information ne relève-t-elle pas de l’intérêt général ? N’est-il pas juste et bon que cela se sache ? Chez Molière, Orgon réclamait toujours plus de preuves de la duplicité de Tartuffe. Si la négation de l’évidence est un excellent ressort comique, gageons que nous n’avons pas fini de rire…

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