France 3 – Portrait de DSK : l’indécent plaidoyer de Gérard Miller

 Nouvel Obs  21-03-2013
anoplus thierry CPar Thierry de Cabarrus Chroniqueur politique
LE PLUS. Mercredi soir, France 3 diffusait un documentaire sur Dominique Strauss-Kahn, réalisé par le psychanalyste Gérard Miller et Anaïs Feuillette.  » DSK, l’homme qui voulait tout  » retrace la vie de l’ancien patron du FMI pour qui tout a basculé. Pour notre chroniqueur Thierry de Cabarrus, le film est un plaidoyer en faveur de DSK, une fiction qui a peu à voir avec la réalité.
DSK, L’HOMME QUI VOULAIT TOUT. On aime ou on déteste Gérard Miller, mais le psychanalyste le plus connu de France, le chroniqueur de Laurent Ruquier ne laisse pas indifférent, c’est le moins que l’on puisse dire. Cet intellectuel brillant  qui, adolescent, pratiquait l’hypnose, a utilisé, ce mercredi soir, sur France 3, avec une habileté certaine ce qu’il l’appelle son « regard freudien » pour dresser un portrait à la décharge de Dominique Strauss-Kahn dans un documentaire à la fois brillant et agaçant intitulé : « DSK, l’homme qui voulait tout« .
 Au bout d’une heure d’un film en forme de plaidoyer impeccable (même s’il s’en défend), Miller nous amène à la conviction que l’ancien patron du FMI ne pouvait faire autrement que de tomber de son Olympe. Tout était écrit dès sa plus tendre enfance, nous dit-il, qu’il ne respecterait ni les femmes, ni lui-même, qu’il sacrifierait son destin de président annoncé au plaisir immédiat volé dans un hôtel, bref, qu’il s’autodétruirait sans voir, au fil de sa vie, toutes ces alertes qui aurait dû le pousser à la prudence et à raccourcir les rênes dans sa course folle à la jouissance.
 Du vrai, du probable, du possible
C’est trop facile, de réécrire une vie à l’envers, et de la dérouler à partir de sa fin, en renouant les fils un à un pour démontrer l’impossible, à savoir une certaine forme d’innocence. Cela s’appelle réécrire l’histoire avec talent, certes, mais reconstruire une vérité invérifiable comme on ravaude, comme on réalise un patchwork avec du vrai, du probable et aussi du possible, en disant : « regardez, l’histoire que je vous raconte est forcément la vraie puisqu’il y a des éléments avérés ».
 En fait, ce recours à la psychanalyse m’a gêné tout au long du film et je crois avoir compris pourquoi. Autant il est communément recommandé dans le secret d’une relation psychothérapeutique entre un praticien et un patient, autant il me semble que faire appel à Freud pour évoquer dans le débat public l’histoire lamentable de Dominique Strauss-Kahn à New York ou ses frasques à Lille me paraît à la fois grossier et dérisoire.
 D’un côté, il s’agit d’un procédé d’investigation psychique pour alléger une souffrance intime alors que de l’autre, cela consiste, me semble-t-il, à utiliser une ficelle un peu grosse, pour tenter de dédouaner l’ancien patron du FMI d’une partie de ses responsabilités. C’est, je le répète, un plaidoyer.
Il n’est pas « la Bête du Gévaudan »
Pour avoir fréquenté les prétoires à une époque de ma carrière professionnelle, je peux témoigner qu’en cour d’assises, quand l’accusé semble condamné par avance, son avocat se jette à corps perdu dans la psychanalyse, remonte à l’enfance malheureuse de son client, déroule la pelote de sa vie comme on va à la pêche au gros et en remonte à la surface deux ou trois histoires touchantes destinées à impressionner les jurés et à les attendrir.
 C’est ce qu’a fait Gérard Miller dans « DSK, l’homme qui voulait tout ». Et il a entrepris de démontrer que son « client » n’était pas « la bête du Gévaudan », dont les médias avaient dressé le portrait, et qu’il n’était pas non plus « l’enfant obscène de Jacques l’Éventreur ». On le voit, il ne fait pas dans la nuance.
 Alors, le documentariste nous emmène au Maroc où DSK a vécu enfant, et il nous montre une ville, et des photos en noir et blanc. On y voit Gilbert Strauss, son père juriste, franc-maçon, socialiste, volage et velléitaire. Comme lui plus tard, suggère Miller en voix off.
 On y voit aussi Gaston et Yvonne Strauss, ses grands-parents, mais aussi Marius Kahn, l’amant d’Yvonne toléré par Gaston. Un couple à trois assumé, un secret que DSK apprendra plus tard et qui le poussera à accoler à son nom le patronyme de ce grand-père adoptif : Dominique Strauss-Kahn.
 Un geste dans lequel notre avocat de France 3 voit un symbole déterminant. DSK comme Marius, jettera la morale aux orties au nom du seul plaisir. Mais Me Miller va encore plus loin : il n’hésite pas à convoquer le tremblement de terre d’Agadir en 1960 pour annoncer la vie pleine de secousses de son client : cette ville de 30.000 habitants rasée d’un coup et ce petit garçon qui échappe de peu à la mort.
 En ténor du barreau, Miller donne à voir le traumatisme de cet élève de sixième et s’appuie sur Freud pour nous décrire « un homme d’une libido à ciel ouvert qui a peur d’être enterré vivant sous les contraintes ». C’est beau comme une plaidoirie d’assises, j’ai le sentiment d’entendre cette voix enfler dans un tribunal.
 Les témoins à décharge
Ensuite, Me Miller appelle à la barre ses témoins à décharge : tout à tour, son ami de lycée, le prêtre de Joigny, son compagnon d’armes, Jean-Christophe Cambadélis dit Aramis quand DSK se prend pour d’Artagnan, Pascal Perrineau, de Science-Po, Jack Lang qui l’a connu professeur d’économie à Nancy. Viennent ensuite témoigner deux femmes journalistes, Raphaëlle Bacqué et Ariane Chemin, auteures de « Les Strauss-Kahn » (Albin Michel).
 Tous nous apprennent que le patron du FMI a été sculpté par trois femmes, Hélène, la première épousée à 18 ans, qui travaillera pour lui payer ses études et lui fera trois enfants ; Brigitte, la deuxième, qui est dans la communication et qui va le métamorphoser : elle lui rase sa barbe de petit prof, lui retire ses lunettes et sa bouffarde et le pousse sur les plateaux de télévision ; Anne, la troisième, rencontrée sur le plateau de « 7 sur 7 » lui ouvrira son carnet d’adresse, lui offrira sa fortune et en fera un people aimé des Français.
 Gérard Miller, avec talent, nous ramène subrepticement dans l’ambiance du film de François Truffaut, « L’Homme qui aimait les femmes ». Il est vrai qu’il y a un point commun : d’un côté, Charles Denner est décédé et de l’autre, DSK est mort à la politique.
 Mais on est en 1997, et pour notre anti-héros, c’est le succès, l’entrée au ministère de l’Économie dans le gouvernement Jospin. Ariane Chemin décrit « l’ambiance érotisée » à Bercy ; Raphaëlle Bacqué évoque « son appartement privé transformé en garçonnière » dans laquelle, presque tous les soirs à 17 heures, il monte avec une femme. « C’est presque écrit dans son agenda », dit-elle.
 Se couper le petit doigt ?
Gérard Miller insiste sur le succès qui, peut-être, lui monte à la tête, nous montre un DSK jouisseur incapable de réfréner ses désirs, qui va multiplier les imprudences, refuser les contraintes, passer outre les nombreuses alertes qui ont failli briser sa carrière et qui auraient dû le pousser à changer. Il passe rapidement sur le scandale de la Mnef, l’affaire Méri puis celle du Cercle de l’Industrie. Trois non-lieux, mais une démission de son poste de ministre.
 Cambadélis réjouit alors Me Miller : il lui raconte qu’il engueule DSK en le comparant au potier maladroit de « Zorba le Grec » qui tournait des pots parfaits, mais les brisait avec son petit doigt. Jusqu’au jour où l’artisan se l’est coupé pour préserver sa vocation.
 Quoi de mieux qu’un auriculaire pour un psychanalyste, surtout quand il s’agit de sexe ? Dès lors, Miller file la métaphore, explique que DSK n’a pas le courage de se couper le petit doigt et qu’il va ainsi briser sa carrière politique comme une poterie fragile.
 On connaît la suite. Le documentariste achève ainsi « l’histoire d’un homme dont ses amis sous-estimaient la jouissance », d’un homme « incapable de se contraindre », qui était à la fois le mari d’une femme exceptionnelle et un libertin invétéré, qui était « l’égal d’Obama et le compère des pieds nickelés de Lille ».
 Une fiction indécente?
C’est beau, c’est écrit de manière littéraire et raconté comme un roman-photo, un peu à la manière du Frédéric Mitterrand de « Étoiles et toiles » à la télévision. Sauf que ce n’est pas la vie de Dominique Strauss-Kahn qui nous est ici racontée. Ce n’est ni l’œuvre d’un historien, ni celle d’un journaliste.
C’est une vie reconstruite, revisitée, ravaudée, révisée. C’est une existence fantasmée, rafistolée avec le regard freudien de celui qui la raconte. On pourrait presque dire que c’est un film de fiction, une histoire avec un parti pris réinventée par un artiste.
 Mais la personnalité de DSK est si forte, son histoire si vive encore dans les mémoires que le pari de l’auteur est manqué : il ne reste, à mon avis qu’un plaidoyer indécent pour un homme qui a trahi non seulement sa femme, ses amis, mais aussi les Français.
 Édité par Louise Auvitu
« DSK, l’homme qui voulait tout » de Gérard Miller et Anaïs Feuillette (YouTube)

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A propos kozett

Deux phénomènes peuvent amener à une manipulation dans la prise en compte des informations par notre conscience : --> Le mirage qui voile et cache la vérité derrière les brumes de la sensiblerie et de la réaction émotionnelle. --> L’illusion qui est une interprétation limitée de la vérité cachée par le brouillard des pensées imposées. Celles-ci apparaissent alors comme plus réelles que la vérité qu’elles voilent, et conditionnent la manière dont est abordé la réalité … A notre époque médiatisée à outrance, notre vigilance est particulièrement requise !
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