Vidéosurveillance : D’après un récent sondage, les français adoreraient être filmés…

Le Canard Enchaîné – 3 avril 2013 – Jean-Luc Porquet
A en croire un récent sondage, révélé lors d’un dîner de gala où se pressaient 200 spécialistes de la sécurité (Le Figaro- 25/3), les Français adoreraient être fliqués. et ils en redemanderaient. A la question : « Êtes-vous favorable ou opposé au développement de la vidéo-protection dans les centre-villes, dans les transports et dans les lieux publics ? », 75% des sondés auraient répondu oui. Génial, non ? « Il est rare d’arriver à un tel niveau de consensus« , triomphe le sondeur en chef.
Mais, on le sait, dans ce genre de sondage, selon qu’une question est formulée en usant de tel mot et pas de tel autre, la réponse peut changer du tout au tout. or, dans ce cas précis, il suffit de lire un très consistant et passionnant ouvrage (1) qui décortique l’ordre sécuritaire en train de s’imposer en douceur, pour mettre le doigt sur l’entourloupe…

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Comme le rappelle son auteur Jérôme Thorel, c’est en janvier 2010 que le gouvernement Fillon pond l’amendement CL 158 à la loi Loppsi 2, qui décrète ceci : désormais, dans tous les textes législatifs et réglementaires, le terme « vidéosurveillance », jusqu’alors d’usage courant, sera systématiquement remplacé par « vidéoprotection ». Et hop ! Le tour est joué. « Vidéosurveillance » est anxiogène, nocif, démobilisateur. « Vidéoprotection » rassure, anesthésie, conditionne les esprits à la soumission. Ce changement sémantique constitue en quelque sorte la « première incursion de la novlangue au Journal Officiel de la République française » note l’auteur.
100_5322La Cnil a embrayé comme un seul homme. et son président d’alors, Alex Türk, d’expliquer que, chez lui, dans le très PS département du Nord, « beaucoup plus de communes de gauche que de communes de droite recourent à des systèmes vidéo. Les maires de gauche que je rencontre reconnaissent que le terme de vidéoprotection passe mieux auprès de leurs administrés« . La Cnil, les élus locaux, les médias : tout le monde s’y est mis. Et c’est ainsi que des tas de villes continuent à s’équiper en caméras, alors que, excepté dans certaines situations bien précises (casinos, entrepôts, trafic autoroutier, lieux fermés), rien ne démontre leur efficacité. « Elles peuvent parfois aider à identifier après coup l’auteur d’un délit, mais rarement d’empêcher de passer à l’acte, écrit Thorel. Prétendre que ces dispositifs font acte prévention contre d’éventuels crimes ou délits relève de l’escroquerie intellectuelle. » Et pourtant l’escroquerie continue. Et la gabegie aussi : les caméras, et tout ce qui va avec, coûtent des fortunes aux collectivités locales, ce qui, en période de serrage de ceinture généralisé, est particulièrement stupide. Mais qu’importe, puisque l’électeur se sent protégé. Ça lui donne un « sentiment de sécurité« . Ça fait cher le sentiment…
A Grenoble et à Marseille, des activistes ont récemment clamé avoir détruit des caméras au cri de « Big Brother nous regarde, crevons-lui les yeux ! » Ils ne font certainement pas partie des 75% de satisfaits. On espère qu’ils sont fichés !
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(1) « Attentifs ensemble ! L’injonction au bonheur sécuritaire« , La découverte 324p. 22,50 €
« Attentifs ensemble« , ce message d’appel à la vigilance diffusé dans le métro parisien est l’un des plus emblématiques de l’ordre sécuritaire qui s’est lentement mis en place, en France et dans le monde, depuis la fin des années 1970, et qui s’est considérablement renforcé avec les attentats du 11 Septembre et la « guerre contre le terrorisme ». Le principal modus operandi de cet ordre sécuritaire consiste à nous impliquer en permanence dans la sécurisation de nos existences, tout en faisant de chacun de nous, selon une logique « proactive », des coupables en puissance.
Ainsi sommes-nous sommés de tout dévoiler, y compris les éléments les plus intimes de notre vie, et de mettre en berne notre liberté au nom de notre prétendue sécurité. Ce livre, fruit de nombreuses années de recherches, est une enquête sur les mécanismes et les institutions de cet ordre sécuritaire : les « marchands de contrôle » et les officines plus ou moins officieuses de conseils en sécurité, les émissions de télévision et la presse dédiées à l’ordre policier, les paravents éthiques et les garde-fous illusoires comme la CNIL – qui en sont à la fois les rentiers et les porte-parole, les pompiers et les pyromanes.
Il offre aussi une plongée vertigineuse dans l’univers technologique qui lui sert de colonne vertébrale : les produits high-tech de la surveillance généralisée, nouvel eldorado du capitalisme policier…

A propos werdna01

Hors des paradigmes anciens et obsolètes, libérer la parole à propos de la domination et de l’avidité dans les domaines de la politique, de la religion, de l’économie, de l’éducation et de la guérison, étant donné que tout cela est devenu commercial. Notre idée est que ces domaines manquent de générosité et de collaboration.
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