Crise ? Noam Chomsky appelle à la mobilisation générale

Global Relay – 11 avril 2013 – Par Max Leroy
 

« Cette mentalité inhumaine consiste à se préoccuper uniquement de soi et à faire comme si les autres n’existaient pas. » – Noam Chomsky
Le mouvement « Occupy Wall Street » a débuté le 17 septembre 2011 et a pris l’ampleur que l’on sait. Leur mot d’ordre ? La condamnation du capitalisme financier et la mise en accusation de la domination d’une minorité (les « 1% ») sur la masse des gens ordinaires (les « 99 % »). Les éditions de L’Herne viennent de publier un recueil de textes et d’entretiens du politologue, philosophe et linguiste libertaire américain Noam Chomsky, intitulé Occupy. 
« Pour la première fois de leur histoire, les Américains ont perdu espoir. » Ces mots ouvrent le recueil. Dans les années 1930, et en dépit des ravages de la Grande Dépression (que Chomsky a connue), l’espoir subsistait au sein des classes les plus désœuvrées. Les années 70 ont foulé aux pieds les promesses d’un avenir meilleur : désindustrialisation, dé-développement, délocalisations et néolibéralisation de l’économie en lieu et place d’une économie de production. « Ce cercle vicieux a abouti à une concentration aberrante des richesses aux mains de 0,1 % de la population. Pour la majorité des autres, ils se sont enlisés dans une phase de stagnation, voire de déclin. » De toute évidence, le fossé entre les possédants et le peuple a toujours existé mais celui-ci s’est creusé depuis une trentaine d’années. « Nous risquons d’entrer dans une phase de déclin irréversible », prévient-il, inquiet face à l’arrogance inextinguible des puissants.
« Le mouvement “Occupy” représente “une première riposte populaire”. »
Le linguiste ne s’embarrasse pas de précautions de langage : « Le monde se divise entre ploutocrates et précaires ». Le terme « ploutocratie » a généralement mauvaise presse en France (on se souvient de l’usage antisémite qu’en firent d’aucuns), mais rappelons qu’il désigne seulement le gouvernement et la domination des riches – ce qui constitue donc une très bonne définition des régimes « démocratiques » des nations occidentales. La ploutocratie détient le pouvoir et n’entend pas le rendre. Le mouvement « Occupy » représente « une première riposte populaire » – même si son slogan (les 99% contre les 1%), reconnaît Chomsky, fait l’impasse sur la complexité effective du rapport de forces (le philosophe socialiste Jean-Claude Michéa précise qu’il conviendrait plutôt de parler de 85 à 90%). La « crise » n’est pas tombée du ciel : elle procède « d’une décision réfléchie, d’une stratégie élaborée par les nantis et les puissants pour dicter un modèle social qui serve leurs intérêts. » Aux États-Unis comme en Europe. Les mesures d’austérité préconisées par les instances dirigeantes du Vieux Monde et les injonctions de la BCE « nous ramène[nt] à la lutte des classes ».

C’est « le grand public » qu’il faut atteindre, sensibiliser et convaincre
Quelles perspectives concrètes propose Chomsky ? S’il n’a jamais caché sa proximité avec la tradition anarchiste, il ne souscrit pas aux ambitions révolutionnaires (le renversement armé d’un régime, le Grand Soir, les lendemains qui chantent ou l’abolition, sans délai, de l’appareil d’État) de certains de ses représentants : le penseur américain se veut pragmatique et oppose aux slogans séducteurs la possibilité, certes plus modeste, de changer les choses ici et maintenant – ce qu’il appelle une « réforme radicale » (capable de modifier en profondeur les structures institutionnelles en place). Son œuvre complète atteste de son refus, constant et répété, de prêcher des formules rigides et absolues, de prôner un modèle de société idéale que l’on pourrait monter comme un meuble en kit. Certains objectifs demeurent, si le grand nombre s’en saisit, à portée de main – comme, dans le contexte américain, la gestion du déficit, de la santé, des dépenses ahurissantes d’une armée qui ne cesse d’attaquer quand elle prétend défendre, etc…
Occupy Wall Street, la rage de vaincre
La grève générale, celle qui conduit à l’autogestion, reste toutefois l’une de ses stratégies privilégiées. Mais celle-ci ne se décrète pas : il faut pour cela que chaque individu devienne un citoyen, à même de comprendre les enjeux politiques de la société, puis du monde, qui l’entoure. Les seuls cercles militants, fussent-ils larges, ne permettent pas de structurer une alternative politique tangible : c’est « le grand public » qu’il faut atteindre, sensibiliser et convaincre. Pour cela, Chomsky n’entrevoit qu’une solution : aller à la rencontre des gens pour qui la politique ne constitue pas une priorité (ou, du moins, qui ne réalisent pas forcément que leur vie quotidienne dépend de cette politique qu’ils ignorent ou, non sans raisons, méprisent). Sans sermon ni mépris, sans condescendance ni sectarisme.
Les peuples, écrit-il dans un autre ouvrage, « sont considérés comme « des étrangers au système, ignorants et importuns », dont le rôle est celui de « spectateurs » et non de « participants », hormis en de périodiques occasions où ils ont le droit de choisir parmi les représentants du pouvoir privé » (extrait de Sur le contrôle de nos vies). « Occupy » marque une rupture, une volonté de rassemblement, d’échanges et de solidarité. Des gens, venus de tous les horizons, se sont liés, par-delà les querelles de clochers et les chicaneries partidaires, pour tenter d’enrayer « l’idéologie du chacun pour soi ».
Idéologie qui ne s’est d’ailleurs pas imposée d’elle-même, comme nous le rappelle Noam Chomsky : « Pour qu’elle prévale, il a fallu déployer bien des efforts. Elle est tellement inhumaine, cette mentalité qui consiste à se préoccuper uniquement de soi et à faire comme si les autres n’existaient pas ! On en trouve une version extrême dans l’œuvre d’Ayn Rand. Voilà l’idéologie que l’on nous inflige depuis plus d’un siècle. » Le combat sera long, âpre et exigeant. « Il nous faut préserver et mettre en place des structures pérennes, capables de résister à l’adversité et de remporter des batailles. »
Durables, donc. Et qui puissent résister, la flamme éteinte, au vent de l’actualité et de l’engouement qu’elle suscite (on songe, de façon similaire, au mouvement des « Indignés »).
– Chomsky tient à distinguer le néolibéralisme du libéralisme et ne dissimule pas l’estime qu’il porte à l’œuvre d’Adam Smith (qu’il perçoit comme un penseur précapitaliste) : pour plus de détails, on lira Raison contre pouvoir, le pari de Pascal, le second opus de Comprendre le pouvoir ou encore Entretiens avec Chomsky ;
– pour ses réflexions sur l’anarchisme, on lira notamment Perspectives politiques ;
– site, en français, autour de Chomsky (avec de nombreuses traductions de ses textes et entretiens) ;
– article sur Ayn Rand, sur RageMag, par Galaad Wilgos ;
– voir le documentaire « Chomsky et compagnie » ;
site de OccupyFrance.
Source: http://ragemag.fr/noam-chomsky-appelle-a-la-mobilisation-generale/

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