Allocations familiales :  » Une mesure de salubrité publique  » selon Martin Hirsch

LE MONDE |05.06.2013 Par Martin Hirsch (Ancien haut-commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté)

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« »Non, le gouvernement n’a pas commis de sacrilège ! »»

Avec la tour Eiffel et le Louvre, la politique familiale fait partie des monuments qui font la fierté de la France. Le gouvernement a-t-il commis un sacrilège en décidant des mesures d’économie, comme s’il avait bradé un trésor national ?
On a beaucoup invoqué ces derniers temps l’héritage du Conseil national de la résistance, et les mânes de Pierre Laroque (1907-1997), qui, inspiré par l’économiste et homme politique britannique Beveridge (1979-1963), a été l’architecte de notre Sécurité sociale.
Les principes de la Sécurité sociale sont censés reposer sur trois « U » : unité, universalité, uniformité. La branche famille est la seule à respecter ces trois principes. Les allocations familiales sont les mêmes pour toutes les familles, alors qu’il existe des régimes différents pour la retraite et pour la maladie. Elles concernent toutes les familles, sans lien avec les cotisations.
Mais à ces trois « U » voulus se rajoute un quatrième « U » indésirable, qui désigne la forme d’une courbe qu’apprennent les élèves de Sciences Po depuis des décennies : l’aide publique apportée aux familles n’est ni dégressive avec le revenu, ni même proportionnelle, mais elle connaît son niveau le plus faible pour les familles aux revenus moyens et est plus avantageuse pour les familles aisées que pour les familles modestes.
L’effort de la collectivité pour un troisième enfant d’un directeur de banque ou d’un couple de hauts fonctionnaires est plus important que celui dont bénéfice le troisième enfant dont les parents sont infirmiers ou employés de bureau. Car si certaines prestations sont réservées aux familles modestes, sous conditions de ressources, les allocations familiales proprement dites sont versées à tous, au même niveau, et l’effet du quotient familial croît avec le revenu.
Si l’on rajoute que, dans notre pays, ce sont les enfants des milieux les plus favorisés qui ont le plus souvent accès aux études longues gratuites, après avoir été plus nombreux à bénéficier de l’accueil en crèche, la branche droite du « U » monte encore plus haut. Ce phénomène ne peut en aucun cas trouver sa justification dans les principes posés par les fondateurs de la Sécurité sociale.
Non, le gouvernement n’a commis aucun sacrilège en amorçant un rééquilibrage des sommes importantes que la collectivité consacre à la famille. Il a pris une mesure de salubrité publique !
Il faut lui reconnaître, avec les associations familiales, l’habileté de ne pas avoir remis en cause frontalement l’universalité. Même si elle confine parfois à l’absurde, elle reste un des ferments de la cohésion nationale – ce n’est pas le moment de l’affaiblir – et il faut respecter l’attachement sentimental qu’elle suscite. Une mère de famille, quel que soit son revenu, tient à la reconnaissance symbolique des « allocs », presque autant qu’à sa carte d’électeur.
Que chaque mère d’au moins deux enfants puisse percevoir un virement de la caisse d’allocations familiales peut être considéré comme le prix à payer pour que chacun comprenne le devoir de contribuer à la Sécurité sociale. Faisons litière de l’argutie selon laquelle il y aurait une vicieuse hausse d’impôt à revenir sur un avantage fiscal et une vertueuse baisse des dépenses quand on réduit du même montant une allocation. Juridiquement peut-être, économiquement, budgétairement et socialement, cette différence n’a aucun sens.
Au-delà de cette réforme, il y a un enjeu de taille : mieux satisfaire d’immenses besoins sociaux sans dépenser plus. Ce n’est pas en gardant figé le système de protection sociale tel qu’il est aujourd’hui qu’on respecte ses principes historiques. C’est en le transformant et en l’adaptant qu’on peut renouer avec l’esprit de ses fondateurs. Trois principes ont été écornés au fil des décennies et doivent être considérés comme fondamentaux : solidarité, valeur travail et justice intergénérationnelle.
La protection sociale ne se réduit pas à une assurance ; elle est aussi un vecteur essentiel de solidarité. Ce qui suppose qu’elle soit progressive dans ses prélèvements et autorise à ce qu’elle le soit dans ses prestations.
On ne peut plus raisonner comme au siècle dernier, en distinguant justice fiscale et justice sociale. Désormais, des impôts, comme la CSG, financent la protection sociale et des avantages fiscaux rapportent plus que des allocations ! Tous les Français supportent une CSG, proportionnelle à leurs ressources. Seule la moitié d’entre eux bénéficie de réductions de l’impôt sur le revenu. La progressivité de l’ensemble des prélèvements, quelle que soit leur nature juridique, doit être rétablie.
IL Y A URGENCE !
Il faut également assumer que les familles modestes soient davantage soutenues que les familles à revenu moyen, qui doivent elles-mêmes bénéficier d’une aide plus importante que les familles aisées, n’en déplaise aux exégètes trop zélés du programme de la Résistance.
C’est ce qui devrait être fait pour la santé. Deux économistes ont récemment rappelé qu’à force de tickets modérateurs et autres franchises, notre système de solidarité entre bien-portants et malades laissait souvent à la charge des ménages modestes des dépenses non remboursées considérables par rapport à leurs revenus. Nous sommes loin de l’idéal de départ ! En plafonnant les restes à charge en fonction des revenus par un bouclier sanitaire, on ne trahirait pas Pierre Laroque, on l’honorerait et on éviterait que s’allonge encore la liste de ceux qui renoncent aux soins pour des raisons financières. Il y a urgence !
Le deuxième principe, c’est qu’une protection efficace ne neutralise pas le travail, elle doit l’encourager. Des dépenses en faveur des crèches sont plus favorables à l’emploi, en permettant de concilier vie familiale et vie professionnelle, qu’un quotient familial trop généreux.
Des minima sociaux et une assurance chômage qui garantissent des gains de revenus pour tout retour à l’emploi sont préférables à des revenus de remplacement déconnectés de tout espoir de reprise d’activité. D’où la nécessité de passer aussi rapidement que possible à la deuxième étape d’un revenu de solidarité active, laissé au milieu du gué, et de réformer le régime des activités réduites.
D’où l’intérêt de financer la protection sociale sur l’ensemble des revenus et pas principalement par les revenus du travail.
Troisième principe de fidélité à l’esprit de la Sécurité sociale : ne pas la financer à crédit. Il n’y a rien de plus inique que de laisser une part des dépenses de protection des assurés actuels à la charge des générations à venir. Equilibrer les comptes sociaux est un élément-clé de la priorité à la jeunesse. Cela suppose un effort, qui ne doit pas être fait, comme dans d’autres pays, sur le dos des plus pauvres, mais en traquant les rentes.
Quand les aides au logement financent les propriétaires qui pratiquent des loyers élevés, les cotisations maladie des médicaments trop chers et trop prescrits, les systèmes de retraite oublient l’augmentation de l’espérance de vie et les dépenses galopent sans que le système social fasse office de protection.
La Sécurité sociale fait partie de notre patrimoine. Un patrimoine, cela ne se dilapide pas, cela s’entretient et se restaure.
Martin Hirsch (Ancien haut-commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté)
Pour rétablir l’équilibre de la branche famille
de la Sécurité sociale,
le gouvernement Hollande a choisi de diminuer
le plafond du quotient familial. La mesure touchera
12 % des ménages les plus aisés, et devrait permettre
une économie de quelque 2 milliards d’euros

A propos kozett

Deux phénomènes peuvent amener à une manipulation dans la prise en compte des informations par notre conscience : --> Le mirage qui voile et cache la vérité derrière les brumes de la sensiblerie et de la réaction émotionnelle. --> L’illusion qui est une interprétation limitée de la vérité cachée par le brouillard des pensées imposées. Celles-ci apparaissent alors comme plus réelles que la vérité qu’elles voilent, et conditionnent la manière dont est abordé la réalité … A notre époque médiatisée à outrance, notre vigilance est particulièrement requise !
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