Compétitivité et croissance : Quand les patronats français et allemand s’en mêlent

Alternatives Économiques – 6 juin 2013 – Jean-Marie Harribey
La collaboration entre la France et l’Allemagne est un souci pour les classes dirigeantes et les gouvernements des deux côtés du Rhin. L’entente Hollande-Merkel fait l’objet de mesures quotidiennes, car il serait vraiment dommage que tout le monde ne marche pas d’un même pas « austère » et ne réforme pas « structurellement » à l’unisson. Il faut donc toujours renforcer les justificatifs de la concurrence, de la compétitivité et de la croissance. Les centres de recherche officiels et les think tanks ne suffisent plus. Les patronats s’en mêlent. On n’est jamais si bien servi que par soi-même.
untitledUn groupe de travail patronal dirigé par Jean-Louis Beffa (président d’honneur de Saint-Gobain et président de Lazard Asie) et Gerhard Cromme (président du Conseil de surveillance de Siemens) et composé du Medef et de son homologue allemand, le BDI (Bundesverband der deutschen Industrie) vient de remettre un rapport aux gouvernements français et allemand : « Compétitivité et croissance en Europe »[1]. Ils veulent stimuler la croissance et l’emploi, améliorer le financement de l’économie ainsi que la compétitivité en Europe. Avec l’amoncellement de rapports tous plus libéraux les uns que les autres on pensait avoir déjà touché le fond. Non, on peut faire encore mieux (ou pire) en matière d’indigence intellectuelle et d’idéologie dans l’air du temps. Voici un florilège de perles contenues dans ce rapport.
Indigence intellectuelle
Le rapport est fait de sept pages et demie (record minimal pour un rapport) de truismes ridicules : « La reprise économique est impossible sans la croissance. » Traduisez : la croissance est impossible sans croissance.
« Les déficits budgétaires et les taux d’endettement croissants sont parmi les causes majeures de la crise financière et économique » qu’ont connue les pays de la zone Euro en 2011 et 2012. » La conséquence transformée en cause ! On attend que les voleurs soient tenus pour victimes ?
« 2013 pourrait constituer un tournant, ouvrant sur une reprise durable des économies européennes. » Près de la moitié de l’année est passée dans un marasme complet, mais le pronostic est garanti de succès : la récession apporte le renouveau. Certes, il y faut des conditions : « si la stabilisation de la zone euro aboutit, si de nouvelles réformes structurelles sont mises en œuvre et si l’Union économique et monétaire se poursuit ». On est certain de ne pas se tromper : la zone euro sortira de la crise si la zone euro va mieux.
« Les réformes du marché du travail sont essentielles pour améliorer la compétitivité, mais elles sont étroitement liées aux questions sociales. » L’indigence du propos atteint ici son comble, à moins qu’il ne s’agisse de dire que les réformes anti-sociales sont liées aux questions sociales.
Idéologie dans l’air du temps
Tout ce qui précède serait risible si cela ne visait pas à introduire une propagande grossière en faveur de l’approfondissement des politiques néolibérales.
« Les droits et les taxes sur l’énergie doivent être réduits et harmonisés » car l’UE lutte trop contre le changement climatique alors qu’elle devrait œuvrer en faveur « des gaz non conventionnels ». Pour les auteurs de ce rapport, le changement climatique doit être une vue de l’esprit. Climato-sceptiques ? Ils n’ont pas intégré que l’énergie fossile est condamnée à se renchérir.
« Le libre accès aux marchés et l’absence de restriction des échanges sont deux aspects importants d’une Europe compétitive. » Le plaidoyer en faveur du libre-échange intégral sans aucune restriction est sans ambiguïté : « libéralisation de l’accès aux marchés publics » et « l’offre de services publics doit être mise en concurrence avec les propositions du secteur privé ». L’ouverture totale des marchés français et allemand de l’énergie est préconisée. En outre, il faut conquérir les « marchés émergents » et s’opposer aux « restrictions d’accès aux sources de matières premières ».
Pour le financement des entreprises, « le système bancaire universel au moyen d’un guichet unique doit être maintenu ». Nos patrons n’imaginent pas qu’on pourrait séparer les banques. Il faut donc poursuivre la déréglementation financière génératrice d’instabilité.
france-saura-prendre-virage-competitivite-eco-L-enqT3gEn matière de fiscalité, « éviter des charges supplémentaires sur le capital et d’autres facteurs de production » et « réduire les taxes sur les facteurs de production tels que l’énergie, les matières premières ou le travail ». Comme tout vient de ces facteurs, en réalité du travail, on se demande quelle pourrait être l’assiette fiscale ? Réponse : « La fiscalité doit porter sur les revenus professionnels plutôt que sur le capital et les possessions ». Entendez : seulement une fiscalité sur les ménages salariés puisque les dividendes ne sont pas un revenu tiré d’une profession, d’un travail donc, mais un revenu de la propriété. À moins qu’actionnaire soit devenu un métier ? Mais y a-t-il des cursus universitaires sur cette filière ? Oh, suis-je bête, en anglais, of course !

[1]  Voir aussi l’entretien accordé par les deux patrons aux Échos, 31 mai 2013.

A propos werdna01

Hors des paradigmes anciens et obsolètes, libérer la parole à propos de la domination et de l’avidité dans les domaines de la politique, de la religion, de l’économie, de l’éducation et de la guérison, étant donné que tout cela est devenu commercial. Notre idée est que ces domaines manquent de générosité et de collaboration.
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