La chronique de Renaud Machart – C’est à voir : Poire Academy

LE MONDE | 12.06.2013
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Mardi 11 juin, à l’heure où j’enfile d’ordinaire mon bonnet de nuit, mon œil s’est arrêté sur l’émission « Inspiration(s), le blog de Katherina », sur Maison +, qui, au moment où je l’ai prise – vers 0 h 45 –, transportait le téléspectateur dans le potager royal du château de Versailles.
Je vous ai déjà parlé il y a peu du parc dont Alain Baraton est le maître, et de son enclos privé, joli comme le désordre d’une tignasse emmêlée. Mais il y a encore plus émouvant : ce vaste pré carré, bien peigné, où l’on continue de faire pousser les légumes que Louis XIV servait à sa table, dont une avenante théorie de courges, toujours remisées dans la même cave voûtée (un soupirail à même la rue permettait d’évacuer, à destination du petit peuple, les légumes recalés).

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apotager alain BaratonLe potager du Roi était l’une de ses fiertés, et il aimait y présenter aux visiteurs de marque ses asperges et ses fraises, qui y poussaient l’hiver. Un ancêtre de Jean-Pierre Coffe, Hubert de la Coffe, fut d’ailleurs éloigné de la cour pour avoir protesté contre cette culture qu’il jugeait contre nature (je plaisante). Mais tout est contre nature dans ce jardin, où le roi aimait montrer qu’il jugulait et subjuguait aussi le végétal, comme en témoignent des poiriers en espalier aux branches sadiquement tenues à l’horizontale.
Il n’y a pas plus français, il me semble, que de voir un jardinier, longuement formé aux gestes ancestraux, s’échiner avec le soin digne d’une manucure de chez Carita au taillage et au palissage d’un plant de beurré d’Angleterre, une poire depuis belle lurette disparue des étals.
Tout cela m’a fait penser à mon ami Jacques Polvorinos, un esprit vif et taquin, résident de Melle, dans les Deux-Sèvres, qui adresse à un auditoire choisi et captif une « cueillette hebdomadaire » faite de saillies littéraires, d’aphorismes et de jolis mots.
Depuis quelques semaines, il pratique un relevé savoureux dans le Dictionnaire de Furetière, à l’entrée « Poire ». Extrait : « Le bon Chrestien d’Espagne, ou la poire de janvry, qui est grosse, longue, tres-belle, d’un rouge de vermillon, tendre & pleine d’eau. La poire de jalousie. Le besi de Quessoüet, venant de la forest de Quessoüet en Bretagne où elle est appelée roussette, ou petit beurré d’hiver. Cette poire est petite, presque ronde, fort brune & beurrée, qui a une eau excellente, relevée & vineuse. »
Jacques recommande de mettre ce texte en bouche et de le dire à haute voix. N’esquivez pas cette jouissive invitation.
Afin de compléter la lecture de Furetière, dont un fac-similé est couramment disponible sur Internet, je vous suggère le merveilleux Dictionnaire littéraire et érotique des fruits et légumes, de Jean-Luc Hennig (Albin Michel, 515 p., 1994). Une lecture instructive, coquine, rafraîchissante et qui ne vous pressera pas trop le citron.
Renaud Machart © Le Monde

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A propos kozett

Deux phénomènes peuvent amener à une manipulation dans la prise en compte des informations par notre conscience : --> Le mirage qui voile et cache la vérité derrière les brumes de la sensiblerie et de la réaction émotionnelle. --> L’illusion qui est une interprétation limitée de la vérité cachée par le brouillard des pensées imposées. Celles-ci apparaissent alors comme plus réelles que la vérité qu’elles voilent, et conditionnent la manière dont est abordé la réalité … A notre époque médiatisée à outrance, notre vigilance est particulièrement requise !
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