Chic, revoilà le schiste !

Le Canard Enchaîné – 12 juin 2013 – Jean-Luc Porquet

D’ici peu, si tout va bien, les grandes compagnies pétrolières américaines pourront attaquer la France en justice. Et affirmer tout de go que la loi de juillet 2011 interdisant la fracturation hydraulique pour extraire les gaz de schiste doit être jetée aux oubliettes, car elle constitue une entrave à la bonne marche de leurs affaires.  Épatant, non ? Et cela grâce au PTCI. Quoi ? Vous ne connaissez pas encore le « partenariat transatlantique de commerce et d’investissement » ? Il s’agit d’un mirifique accord de libre-échange que l’Europe s’apprête à négocier avec les États-Unis et le Canada, et dont les puissants lobbies pétroliers ont déjà mitonné l’avant-texte. Les amateurs de gaz de schiste en  trépignent de joie…

Il faut dire que toutes ces petites bulles coincées dans la roche à 4 000 mètres de profondeur, qu’il suffit de faire remonter à la surface en pulvérisant les roches à coup d’eau sous pression (et, certes, contenant 750 composés chimiques, dont 29 reconnus cancérigènes et toxiques), toutes ces petites bulles, donc, la France en regorge. Et elles font rêver. A l’Élisée, qui s’effare de constater que, grâce à leur gaz de schiste exploité à mort, les États-Unis paient leur gaz trois fois moins cher que les Européens, ce qui « crée un différentiel de compétitivité très préoccupant » (Libération », 22/5). Au Medef qui promet de « réindustrialiser » triomphalement le pays à condition qu’on y fore partout. A l’Assemblée, où les duettistes Jean-Claude Lenoir sénateur UMP de l’Orne et Christian Bataille, un député PS du Nord), tous deux tapageusement pronucléaires, viennent de pondre un rapport qui tombe à pic : alors qu’ils étaient missionnés pour explorer les alternatives à la fracturation hydraulique, à ce point désastreuse pour l’environnement qu’elle est interdite en France et dans de nombreux pays, ils se sont acharnés à en chanter les louanges. A les en croire, pas plus écologique que cette méthode, laquelle, en prime, relancera notre compétitivité et créera, juré-craché, au moins 100 000 emplois ! Correctement résumé par Noël Mamère, cela donne : « On connait bien la manière dont le président Hollande peut se comporter pour ménager la chèvre et le chou. D’un côté il dit aux écologistes : pas d’exploration, pas de fracturation, de l’autre il laisse fleurir et prospérer un certain nombre de rapports qui sont favorables au gaz de schiste« .

On le sait, des connaisseurs comme l’économiste Benjamin Dessus (Politis », 2/5) et Jean-Paul Chanteguet, le député PS qui préside la Commission du développement durable, le disent et le répètent : un puits de gaz de schiste fournissant la moitié de sa production totale dès la première année, et s’épuisant vite ensuite, il faut sans cesse en forer des nouveaux pour compenser épuisement des premiers. Cette course éperdue a conduit les Américains à creuser 500 000 puits en huit ans ! Essayer d’en faire autant dans un pays seize fois plus petit et à la densité de population quatre fois plus élevée serait désopilant. Surtout qu’en prime, l’empreinte carbone du gaz de schiste équivaut à celle du charbon : idéal pour le réchauffement climatique. Le feuilleton du gaz de schiste n’a pas fini de nous dilater la rate…