Depuis la crise les inégalités sont criantes. – Décryptage des communes et villes françaises

Libération MARIE PIQUEMAL 17 /07/2013

Neuilly, Annecy… ces villes où les riches sont de plus en plus riches

DÉCRYPTAGE + CARTE
La crise n’a pas eu d’impact homogène sur tous les revenus : ville par ville, les inégalités sont criantes.

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Vue d’Annecy, en Haute-Savoie, où les 10% les plus riches se sont particulièrement enrichis entre 2008 et 2011. (Photo Philippe Desmazes. AFP)
Depuis 2008, le pouvoir d’achat des Français a été sérieusement amoché. Mais tous les citoyens n’ont été touchés de la même façon par la crise. Quand on plonge dans les statistiques, et qu’on regarde d’un peu plus près, du haut au bas de l’échelle et en fonction du lieu de vie, les inégalités sont criantes. Surtout, elles se creusent : les pauvres s’appauvrissent pendant que les riches continuent de s’enrichir. Dans certaines villes, comme Annecy par exemple, les plus riches ont vu leur revenu annuel augmenter de 5 000 euros en moyenne entre 2008 et 2011. Le Centre d’observation de la société française a passé à la moulinette les données de l’Insee sur les revenus des communes pour 2011. En voici les principaux chiffres, commentées par Louis Maurin, le directeur du Centre et consultant auprès du bureau d’études Compas.
Les villes épargnées par la crise
Si l’on regarde l’évolution du revenu médian1 des trois dernières années, les villes de l’ouest parisien semblent avoir été moins touchées par la crise. Issy-les-Moulineaux caracole en tête avec une hausse du revenu médian de 8,1% entre 2008 et 2011 où il s’établit à 30 017 euros annuel pour une personne seule, avant impôts. Bien placés aussi : Puteaux (+8%), Boulogne-Billancourt (+7,5%) ou Courbevoie (7,1%). La situation est la même dans plusieurs villes ailleurs en France, comme Bayonne (+8,5%) avec un revenu médian de 17 688 euros par personne en 2011, Annecy (+7,3%, à 21 041 euros) ou Salon-de-Provence (+7,4% à 18 643 euros).
Commentaire de Louis Maurin : «Les exemples cités le montrent : il n’y a pas une règle simple de répartition géographique. On ne peut pas dire que les villes du sud ont moins souffert de la crise que les autres, ou l’inverse. C’est un peu plus compliqué que cela. Il faut une lecture plus fine, territoire par territoire. Une précision méthodologique importante : nous nous sommes intéressés aux 150 plus grandes villes françaises (plus de 40 000 habitants), en excluant volontairement du classement les villes des départements et communautés d’Outre-mer car cela faussait trop les résultats. Les variations de revenus sont telles, que dans notre classement des villes les plus pauvres, elles occupaient les vingt premières places du tableau ! Nous comptons faire une étude sur les effets de la crise en outre-mer, tellement la situation est préoccupante.»
Les villes les plus durement touchées
Si l’on s’en tient toujours au revenu médian, deux villes, Dunkerque (Nord) et le Blanc-Mesnil (Seine-Saint-Denis) enregistrent des revenus en chute de 2,4% entre 2008 et 2011. En réalité, cette baisse est encore plus importante car «toutes nos données ne tiennent pas compte de la hausse des prix», précise l’étude. Or, entre 2008 et 2011, l’inflation a été de 3%. Ce qui veut dire que pour une bonne moitié des 150 communes répertoriées, le pouvoir d’achat des habitants a en effet baissé. Parmi les plus touchés : les habitants de Seine-Saint-Denis, surtout ceux vivant à Drancy, Aulnay-Sous-Bois ou Bobigny. Mais aussi ceux de Mulhouse (Haut-Rhin), Roubaix (Nord) ou Saint-Quentin (Aisne).
Louis Maurin : «On ne peut pas exclure un effet de bord. Dans les villes où le revenu médian a beaucoup augmenté, les loyers ont certainement été révisés à la hausse, chassant de fait les familles les plus modestes… qui s’installent dans des villes où les prix sont plus abordables. Ce n’est cependant qu’un effet à la marge, dans la mesure où l’on a pris soin de faire des comparaisons sur trois ans. C’est un délai suffisamment long pour mesurer des tendances de fond.»
Les villes où les riches s’enrichissent
Cette fois, les auteurs de l’étude utilisent un autre indicateur, très parlant : l’évolution du revenu des 10% les plus riches dans une commune. Où l’on regarde, en euros, leur enrichissement moyen sur une année. Et ce n’est pas forcément dans les villes où le revenu médian a le plus augmenté, que les riches se sont le plus enrichis. Même si parfois, les données se croisent.
A ce jeu-là, Neuilly-sur-Seine arrive tout en haut du classement : les plus riches ont vu leur revenu augmenter d’en moyenne 7 265 euros par an entre 2008 et 2011. Deuxième du palmarès, Annecy, avec 4 979 euros d’augmentation quand même. Paris arrive en septième position : les 10% les plus riches ont gagné 3 890 euros de plus chaque année. Les villes de la banlieue ouest parisienne (Suresnes, Boulogne-Billancourt, Meudon...) sont bien représentées dans le haut du classement. Suivies par Bordeaux (3 000 euros), Nantes et Lille (2 800 euros).
Voir infographie
Lecture de la carte :
Les villes en jaune sont celles où le revenu des 10% les plus riches a baissé.
En vert : le revenu des 10% les plus riches a augmenté entre 0 et 3633 euros par an entre 2008 et 2011.
En rouge : leur revenu a progressé de plus de 3 633 euros par an.
Cliquez sur chaque ville pour avoir les détails.
Louis Maurin : «Quand on parle des riches qui s’enrichissent malgré la crise, ce n’est pas des grandes fortunes comme Bernard Arnaud. Grosso modo, le décile des plus riches, c’est 3 000 euros de revenu mensuel pour une personne seule. Qu’on arrête de dire que le pouvoir d’achat baisse pour tout le monde, c’est faux. Oui, le pouvoir d’achat moyen baisse, tiré vers le bas par les 30% les plus modestes. Mais pendant ce temps, les plus riches continuent de s’enrichir. Le discours ambiant « tout le monde pâtit de la crise » permet seulement aux plus aisés de se dédouaner de participer à l’effort collectif.»
Les villes où les pauvres s’appauvrissent
A l’opposé, dans certaines communes, le niveau de vie a tellement baissé que les 10% les plus pauvres sont encore plus pauvres qu’avant : des personnes considérées comme les plus modestes en 2008 ne le sont plus aujourd’hui. Dans dix communes, dont Perpignan, Béziers, Charleville-Mézières, le «seuil d’entrée» dans les 10% les plus pauvres a baissé de 25%. A Roubaix, ce dernier décile a perdu en moyenne 285 euros par an en moyenne entre 2008 et 2011. Et se retrouvent en 2011 avec un revenu annuel moyen de 2 euros (hors prestations sociales).
Infographie
Lecture de la carte :
Les villes en jaune sont celles où le revenu des 10% les plus pauvres a baissé.
En bleu : le revenu des 10% les plus pauvres a augmenté jusqu’à 462 euros sur un an en moyenne, entre 2008 et 2011.
En vert : les plus pauvres ont vu leur revenu augmenter de plus de 462 euros par an.
Louis Maurin : «Les données proviennent de l’Insee, constituées à partir des déclarations de revenus fiscaux. Il s’agit de chiffres bruts, avant les prélèvements d’impôt et le versement des prestations sociales. Donc forcément, les inégalités sont exagérées. Il faut ajuster les chiffres de 3% à peu près pour avoir une vision juste de la réalité.»
1 Le revenu médian d’une ville est le revenu «du milieu». La moitié de la ville touche plus, la moitié moins.
MARIE PIQUEMAL

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Deux phénomènes peuvent amener à une manipulation dans la prise en compte des informations par notre conscience : --> Le mirage qui voile et cache la vérité derrière les brumes de la sensiblerie et de la réaction émotionnelle. --> L’illusion qui est une interprétation limitée de la vérité cachée par le brouillard des pensées imposées. Celles-ci apparaissent alors comme plus réelles que la vérité qu’elles voilent, et conditionnent la manière dont est abordé la réalité … A notre époque médiatisée à outrance, notre vigilance est particulièrement requise !
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