Naissance en Grande-Bretagne – L’overdose des médias français : Quelle idée de l’information se fait un service public qui passe 20 m. sur un tel événement …

Nouvelle Observateur 24/07/2013 Par François Jost Analyste des médias

Kate Middleton et son bébé : l’écoeurant spectacle des médias français

2691323265286
LE PLUS. La porte fermée du St Mary’s Hospital n’a jamais été aussi photogénique. Pour la naissance du bébé de Kate Middleton et du Prince William, les journalistes n’ont pas compté. Trop de directs à la télé, trop d’articles, trop d' »experts people » interviewés… Pour François Jost, analyste des médias, c’est l’overdose.
Après 24 heures de délire sur le « Royal Baby », qu’il me soit permis de dire ici la colère et le dégoût que m’a inspiré le spectacle des médias français !

2251374657595.jpgno

Des centaines journalistes attendaient la sortie de Kate Middleton, le Prince Charles et leur bébé, le 13 juillet 2013. (D. Lipinski/AP/SIPA)
  Reprenons dans l’ordre : début de soirée, lundi. Les chaînes d’info en continu annoncent que l’enfant de Kate (ce baby qui sera peut-être royal dans 60 ans !) est né à 17h24.
 Un torrent de bêtises à la télé
 À quoi bon tout ce dispositif, tout cet argent dépensé pour des envoyés spéciaux, s’il ne sont capables de connaître l’événement en temps réel… Aussitôt apparaissent sur tous les plateaux les experts : des journalistes de « Point de vue », de « Gala » et l’inévitable Stéphane Bern, qui a fait toute sa carrière sur la connaissance de la monarchie.
 Il y a quelques années, ces spécialistes des « peoples » étaient traités avec mépris par les présentateurs des JT et aujourd’hui, ils sont reçus au même titre que les experts scientifiques, les criminologues ou les économistes…
 Leur jour de gloire est arrivé. Il m’a fallu beaucoup de patience et aussi me persuader qu’il faut analyser les médias dans de telles circonstances pour supporter le torrent de bêtises qui s’est alors déversé dans mon téléviseur.
 La porte fermée, acmé du direct
 Un journaliste promettait fièrement : « on va savoir comment l’accouchement s’est passé ! ». Que voulait-il dire ? Qu’on allait avoir le film pris par le père ? Que, chez une princesse, l’enfantement est différent ? Ou espérait-il secrètement quelques complications ? Les limites de la vie privée, fût-elle princière, étaient encore repoussées.
 De leur côté, les spécialistes des têtes couronnées n’en pouvaient plus : « Kate aurait été ennuyée si elle n’avait pas eu un garçon », lançait l’un, oubliant qu’en Angleterre, garçons et filles ont les mêmes droits au trône. « Ce sont les plus grandes stars du monde, les plus célèbres », renchérissait l’autre, comme si la notoriété était la seule valeur.
 Stéphane Bern était proche de l’extase :  » Quand on entend qu’Obama attend cette naissance, on a envie de se pincer ! »  » Hier, un Britannique triomphe dans le Tour de France… aujourd’hui, la naissance de cet enfant !  » On espère que Kate n’était pas dopée. À quand le contrôle ?
 Et puis a commencé le plan fixe sur la porte de la Lindo Wing de la clinique. Ce plan de porte fermée m’en rappela un autre : celui de la porte du tribunal d’où devait sortir DSK, lui aussi pendant la période des vacances. La porte fermée pourrait bien représenter l’acmé du direct. Il concentre, en effet, tout ce qu’on peut attendre de la retransmission en temps réel : l’attente, symbolisée par la fermeture, et le surgissement de l’information que représente l’ouverture. Avant, il n’y aurait rien, après, on saurait tout.
 Mardi, pourtant, de la même façon que les médias avaient guetté la naissance sans être capable d’en connaître le moment exact, l’ouverture de la porte ne donna sur rien.
 L’échec du direct
 L’échec informationnel le plus réussi vint de France 2. Julian Bugier recevait Alex Taylor, un vrai journaliste, lui. Chaque réponse aux questions qu’il lui posait était interrompue par le plan de la fameuse porte, où quelque chose devait survenir de façon imminente. Enfin, celle-ci s’ouvrit pour délivrer « l’image que la Grande-Bretagne attend depuis 24 heures ».
 Et là, bien qu’elle fît le pied de grue depuis 24 heures, l’équipe mobilisée fut incapable de retransmettre le son et d’amplifier la parole de William. Le journaliste présent sur place, à moins de « dix mètres » du Prince, avoua qu’il n’avait rien entendu. Tout ça pour ça. J’ai pensé à ce chevalier en quête du Graal qui s’endort au moment où il l’a atteint.
 Quelle idée de l’information se fait un service public qui passe 20 minutes sur un tel événement alors que TF1, le même soir, tourne rapidement la page pour passer aux informations « sérieuses » ? Sans doute que cet événement passionne tous les Français et que chacun est un lecteur potentiel de « Voici ». Julian Bugier l’a répété à satiété : c’était « l’image que tout le monde attendait. » Tout le monde ? Rien n’est moins sûr.
À cet égard, on ne peut qu’être étonné des commentaires qui ont accompagné les plans des gens qui attendaient devant les grilles de Buckingham. À les entendre, il y avait des milliers de personnes.
 Pourtant, le plan d’ensemble pris d’hélicoptère donnait plutôt l’impression qu’ils étaient quelques centaines au plus. On aurait cru entendre des décomptes de l’UMP lors du meeting de Sarkozy à la Concorde.
 Une affaire qui intéresse un microcosme
 Mais, surtout, qui nous prouve que toute la Grande Bretagne était dans une attente aussi fiévreuse que celle qui a été décrite ? Alex Taylor essaya vainement de dire que ce n’était pas le cas. Pour lui, le succès de cette naissance était plutôt le fait des touristes.
 Quant à lui, il n’y voyait pas un événement qui méritait un tel traitement. Mais c’était difficile à entendre pour des rédactions qui ont mobilisé non seulement beaucoup d’effort, mais surtout beaucoup d’argent pour un événement qui a passionné leur microcosme. À force de vivre en autarcie, on oublie parfois que ses désirs ne sont pas la réalité.
 Édité par Louise Pothier  Auteur parrainé par Hélène Decommer

A propos kozett

Deux phénomènes peuvent amener à une manipulation dans la prise en compte des informations par notre conscience : --> Le mirage qui voile et cache la vérité derrière les brumes de la sensiblerie et de la réaction émotionnelle. --> L’illusion qui est une interprétation limitée de la vérité cachée par le brouillard des pensées imposées. Celles-ci apparaissent alors comme plus réelles que la vérité qu’elles voilent, et conditionnent la manière dont est abordé la réalité … A notre époque médiatisée à outrance, notre vigilance est particulièrement requise !
Cet article, publié dans Débats Idées Points de vue, Médias, est tagué , , . Ajoutez ce permalien à vos favoris.