Militants contre les « projets inutiles » : Troisième rencontre européenne

LE MONDE | 28/29/07.2013 | Par Rémi Barroux (Stuttgart, envoyé spécial)
Reportage. Quoi de commun entre la mine d’or de Rosia Montana en Roumanie, le train à grande vitesse du Pays basque espagnol, l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, en France, ou la ligne ferroviaire souterraine qui pourrait passer sous Florence, en Italie ?
Ce sont tous, aux yeux des centaines de militants réunis jusqu’au lundi 29 juillet, à Stuttgart, en Allemagne, de « grands projets inutiles et imposés » (GPII).

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Manifestation à Turin
Qu’est-ce qui réunit l’ensemble de ces luttes locales, dont l’écho franchit souvent les frontières ? Comment apprendre des victoires et des échecs des uns et des autres ? Comment tisser un réseau international de solidarité et d’expertise ? Voilà les questions qui animent les débats de cette troisième édition du Forum européen des GPII.
Le rassemblement s’achève lundi par une manifestation devant la gare de Stuttgart, dont le projet de réaménagement « Stuttgart 21 » mobilise depuis des années les militants allemands dénommés les Wutbürger, les « citoyens en colère », un terme élu « mot de l’année 2010 » et qui figure désormais dans le dictionnaire.
Rassemblés dans des entrepôts de brique autrefois consacrés aux activités de la Deutsche Bahn (la SNCF allemande) et aujourd’hui à la culture alternative, la plupart des participants se connaissent. Beaucoup ont le cheveu grisonnant : militants expérimentés des causes environnementales, anti-nucléaires, anti-béton, anti-capitalistes, ils militent depuis des années.
« NOUS LUTTONS DES DEUX CÔTÉS DES ALPES, NOTRE INTÉRÊT EST LE MÊME »
Ils estiment « pharaoniques » les projets contre lesquels ils continuent de se battre. Ce sont souvent des infrastructures à dimension internationales, financées en partie par l’Union européenne, d’où l’évidence de « la coordination », explique Paolo Prieri, des « No TAV » italiens, qui s’opposent à la construction de la ligne à grande vitesse Lyon-Turin (TAV). « Nous luttons des deux côtés des Alpes, notre intérêt est le même, mais les conditions politiques ne sont pas toujours identiques », explique-t-il, dénonçant la mainmise de la mafia sur les chantiers d’infrastructures, côté italien.
Le verbe haut, il explique les « incohérences » des décisions gouvernementales, l’absence de prise en compte de l’avis des populations. « C’est fou, s’étrangle Paolo, on sait qu’en France le projet risque d’être remis à plus tard, que le contournement ferroviaire de Lyon n’est plus prioritaire, mais on s’apprête quand même à construire la partie internationale du tunnel ! »
Un scénario qui n’étonne pas Amagoia Escudero, une Basque de 27 ans : « La lutte contre la ligne à grande vitesse basque a démarré quand j’avais 7 ans et, aujourd’hui, on est dans l’absurdité totale, déplore la jeune enseignante de San Sebastian. Le gouvernement basque s’obstine alors que l’on sait que le tronçon français ne sera pas construit avant 2030 au moins. »
Chaque représentant d’ONG ou d’association n’a aucun mal à déclencher l’enthousiasme d’une assemblée convaincue. Vainqueur à l’applaudimètre, Mihnea Bliariu, un solide gaillard de Transylvanie, a raconté la lutte de la localité de Rosia Montana contre le projet d’une gigantesque mine d’or à ciel ouvert, concédé à la compagnie canadienne Gabriel Resources. « Je suis venu apprendre des autres expériences, explique ce trentenaire débonnaire. Nous devons absolument populariser notre lutte, car le gouvernement soutient le projet et les médias, qui reçoivent beaucoup de publicité du trust canadien, ne nous aident pas. »
« PAS À VENDRE »
Apprendre des autres ? Les techniques de lutte semblent très proches d’une ville à l’autre. Expertises scientifiques ; bataille juridique acharnée ; mobilisations de rue ; festivals, etc. En Roumanie, les activistes, solidaires des quelque 2 000 habitants de Rosia Montana, ont déployé leurs banderoles à l’occasion de matchs de football ou de rugby – l’équipe nationale est sponsorisée par la compagnie minière canadienne – et se prévalent du soutien de nombreuses personnalités intellectuelles et artistiques comme l’actrice Maia Morgenstern.
En Europe, la coordination de l’ensemble de ces mouvements a permis, s’agissant de Rosia Montana, d’organiser des manifestations à Zurich, en Suisse, à l’occasion d’un forum européen aurifère, en avril. Ou encore de faire annuler, lors d’une assemblée générale de la compagnie d’assurance allemande Allianz, à Munich, la décision d’assurer le projet.
« Nu, este de vanzare », « Cette propriété n’est pas à vendre » : le panneau est apposé sur les maisons de Rosia Montana. Un slogan commun que l’on retrouve par exemple à Notre-Dame-des-Landes, près de Nantes, ou dans l’île de Fehmarn, au nord de l’Allemagne, qui est sur le passage d’un futur projet ferroviaire et routier en direction du Danemark.
La crise économique, qui resserre les budgets des Etats et les conduit à repousser certains projets, est considérée comme une sorte d’alliée. « Dans un certain sens, c’est presque une chance, convient Daniel Ibanez, engagé contre le « Lyon-Turin », car il y a de moins en moins de fonds disponibles, européens ou nationaux. » Pour autant, pas question pour les militants de baisser la garde, car beaucoup de projets GPII restent à l’agenda des gouvernements.
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Contestations locales :
Tour de France des « grands projets inutiles »Visuel interactif

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Deux phénomènes peuvent amener à une manipulation dans la prise en compte des informations par notre conscience : --> Le mirage qui voile et cache la vérité derrière les brumes de la sensiblerie et de la réaction émotionnelle. --> L’illusion qui est une interprétation limitée de la vérité cachée par le brouillard des pensées imposées. Celles-ci apparaissent alors comme plus réelles que la vérité qu’elles voilent, et conditionnent la manière dont est abordé la réalité … A notre époque médiatisée à outrance, notre vigilance est particulièrement requise !
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