Les mots de l’été : Déconnecter Par Didier Pourquery

 LE MONDE | 14.08.2013 à 13h56 |

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Les vacances, c’est sérieux. La preuve, dès le printemps, les magazines sont pleins de conseils pour « réussir ses vacances ». Pas question de se laisser aller. Nos congés eux-mêmes doivent être performants. Vous avez remarqué, d’ailleurs, que l’on demande : « Tu fais quoi, pour tes vacances ? » Même là, il faut faire. Agir, après avoir planifié, organiser, ne rien laisser au hasard. Dans le mode d’emploi standard pour réussir ses vacances, il y a depuis quelque temps cette injonction qui revient : déconnectez ! Oubliez écran et Wi-Fi, antenne-relais et smartphone.
Les stars elles-mêmes cherchent des coins sans Internet et sans réseau si possible, une île, une vallée perdue. Le vrai chic, signe de vrai pouvoir : être injoignable. Le vacancier de base lui-même sent bien qu’il doit faire une cure d’antistress, et que celle-ci passe par l’éloignement de l’écran.
Dans les années 1990, on disait « débranche ». Comme une fiche que l’on retire de sa prise. De nos jours, à l’heure du sans-fil généralisé, on se déconnecte, on libère notre cerveau de sa dose quotidienne d’ondes et de données électroniques. On doit se défaire, se déprendre, se désaccoutumer de l’électronique. Voilà le conseil ultime.
Les vacances, d’ailleurs, sont tout entières fondées sur ce préfixe « dé », qui indique l’éloignement, la privation.
« On se délasse « , disait-on pendant la première moitié du XXe siècle. On combat la lassitude, on se défatigue. On se repose en se distrayant.
« On se détend », entendait-on dans les années 1970 et 1980. On cherche à éliminer les tensions. On se relâche. Notons qu’en physique « détendre » signifie diminuer la pression.
PROTHÈSES
De fait, aujourd’hui, on décompresse. La tension (« stress » en anglais, rappelons-le) est vraiment devenue pression, compression même, elle est tout autour, on se la fabrique notamment avec nos chers écrans et leurs avalanches d’informations, de sollicitations et d’injonctions. Seule solution : se déconnecter. Notez ces glissements de sens de la machine vers l’humain : débrancher, déconnecter, c’est du physique appliqué au biologique, les appareils sont au bout de notre corps, comme des prothèses. Ce ne sont pas eux qu’on déconnecte, c’est nous. Comme une désintoxication, mais temporaire. On se déconnecte pour mieux se reconnecter. On décompresse pour mieux recompresser. On déstresse pour pouvoir mieux restresser, dirait-on.
Entre-temps on s’est « ressourcé », autre mot à la mode. Deux sens pour ce mot-là : « le retour aux sources » (à la nature sans doute, aux éléments), mais aussi « faire jaillir à nouveau de l’eau d’une source ». C’est la même eau, on la fait ressortir. On « puise » de nouvelles forces au plus profond de soi. Je me déconnecte, je déstresse, et je me reconstruis (un peu) pour me retrouver.
Pour faire tout ça, la plupart des vacanciers cherchent à se dépayser. On se déplace vers d’autres horizons, on va voir ailleurs si on y est, et si c’est le cas, on se retrouve. Cela ressemble presque à une définition de mots croisés. « Vacances : se retrouver ailleurs ».
Prochain mot : « Canicule »

A propos kozett

Deux phénomènes peuvent amener à une manipulation dans la prise en compte des informations par notre conscience : --> Le mirage qui voile et cache la vérité derrière les brumes de la sensiblerie et de la réaction émotionnelle. --> L’illusion qui est une interprétation limitée de la vérité cachée par le brouillard des pensées imposées. Celles-ci apparaissent alors comme plus réelles que la vérité qu’elles voilent, et conditionnent la manière dont est abordé la réalité … A notre époque médiatisée à outrance, notre vigilance est particulièrement requise !
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