Toubib or not toubib : Médecins étrangers et bagnards ?

Siné Mensuel septembre 2013 – Sarah Delattre
Il y a en France 5 à 7 000 médecins étrangers au statut précaire. Cela permet à l’hôpital public de les exploiter pour pallier la pénurie de praticiens et soigner à moindre coût Ils se coltinent les urgences, les gardes et les spécialités boudées des Français.
Carburant au café et aux clopes comme tout bon médecin urgentiste, Marwan (le prénom a été modifié) qui affiche 72 heures au stéthoscope en six jours, vient d’achever sa garde dans un hôpital de l’ouest parisien. D’origine syrienne, ce docteur de 35 ans déroule un CV long comme le bras. Après avoir fait médecine à Alep, ce carabin a choisi le pays des droits de l’Homme pour se spécialiser en 2005.
100_5708Depuis, tout en s’échinant au chevet des malades, il multiplie les diplômes en médecine d’urgence et réussit la très sélective épreuve des connaissances qui atteste la maîtrise de son art. Huit ans de galère plus tard, son statut (de praticien attaché associé) reste précaire. « Aujourd’hui j’ai négocié mon salaire, je me sens enfin l’équivalent d’un médecin français. mais mon statut de médecin étranger a fragilisé toute ma vie, j’ai rompu mes fiançailles et j’ai parfois l’impression de rater ma vie. Je me suis retrouvé en France avec une formation qui n’était pas reconnue, j’en ai bavé pour trouver des stages, pour prolonger mon mon titre de séjour, j’ai vécu dans une chambre de 7 m2. Un CHU parisien m’a même proposé de travailler sans me déclarer, à raison de 500 euros pas mois. » 
Au bled, une agence culturelle chargée de racoler des cerveaux lui avait pourtant promis monts et merveilles. Serment d’hypocrites, oui ! Ces toubibs, souvent originaires d’anciennes colonies, se heurtent encore à une xénophobie d’État orchestrée sous la pression des toubabs des milieux médicaux qui, depuis la fin du XIXème siècle, limitent l’accès des étrangers à l’exercice de leur métier.
Dans le même temps, l’hôpital public exploite ces mains d’or pour pallier la pénurie de médecins et soigner à moindre coût. Cantonnés à un statut précaire, les Padhue (praticiens à diplôme hors Union européenne) héritent des sales besognes et des spécialités boudées des Gaulois.
Censés exercer sous l’autorité d’un chef de service, ils endossent en réalité les mêmes responsabilités que leurs confrères pour une rémunération inférieure de 30 à 50%. Après une vague de régularisation à la fin des années 90, les Padhue continuent de servir de variables d’ajustement au gré des mandatures, de gauche comme de droite. « Ce qui me chagrine le plus, c’est de voir des médecins restés précaires alors qu’ils ont rendu service pendant des années et qu’ils remplissent probablement toutes les conditions pour s’insérer durablement dans le système hospitalier », constate Yazid Belkacemi, responsable du service de radiothérapie, oncologue à l’hôpital Henri Mondor de Créteil. Nommé professeur en 2008, cet Algérien issu d’un milieu modeste, fait figure d’exception. « Je suis arrivé en 1986 pour compléter ma formation; à partir de là, j’ai coché toutes les cases une par une. j’ai commencé comme FFI tout en travaillant comme réceptionniste le soir dans un hôtel et en donnant des cours à la Croix-Rouge. Puis je suis devenu attaché, praticien adjoint contractuel, qui restait précaire à l’époque. Je n’ai jamais vraiment ressenti de blocage dans mon parcours mais c’est déjà difficile de faire carrière dans les hôpitaux de Paris quand on débarque de province, alors quand on vient de plus loin, on est carrément vu comme un extraterrestre. »

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La majorité se fracasse contre le fameux plafond de verre (aussi efficace pour freiner la carrière des femmes médecins mais c’est une autre histoire…). Philosophe, Abderrahmane Bakkouch, praticien attaché associé aux urgences de Lariboisière à Paris, se « préserve d’un système qui pourrait le broyer« . Après plusieurs allers-retours entre la France et le Maroc où il a notamment ouvert une clinique près d’Agadir, il a posé ses valises de ce côté-ci de la Méditerranée en 2005 pour faciliter les études de ses enfants. « Ma spécialité en orthopédie-traumatologie, que j’ai pourtant suivie en France, ne me donne pas le droit d’exercer. je travaille comme attaché associé mais en réalité, je gère tout. Je suis référent J’ai formé des promotions d’interne à la traumatologie d’urgences. Aujourd’hui, certains sont chefs de clinique et payés deux fois plus que moi. »
Toubib or not toubib ?
Confrontés à une situation ubuesque, telle est la question que se posent bon nombre d’entre eux. Rédha Souilamas, spécialiste de la greffe pulmonaire, a démissionné de l’hôpital Pompidou pour rejoindre les États-Unis. Dans un livre (La couleur du bistouri – éditions Naïve), il n’y va pas avec le dos du bistouri et dénonce un système qui favorise « la préférence nationale« , ou « le passé colonial a laissé des séquelles« , et qui traite ses médecins étrangers comme « des enfants illégitimes« .

A propos werdna01

Hors des paradigmes anciens et obsolètes, libérer la parole à propos de la domination et de l’avidité dans les domaines de la politique, de la religion, de l’économie, de l’éducation et de la guérison, étant donné que tout cela est devenu commercial. Notre idée est que ces domaines manquent de générosité et de collaboration.
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