La dédette qui monte

Charlie Hebdo – 25 septembre 2013 – Philippe Lançon
dette_publique-150x150Le bijoutier de Nice devait avoir de bonnes lunettes, donc une bonne mutuelle, car il n’a pas manqué sa cible. Qu’en pense président de la Cour des comptes, Didier Migaud ? Les Français vieillissent, leurs montures de lunettes sont coûteuses et à force de ne plus voir ils ne regardent pas à la dépense. Certes, l’État ne leur rembourse presque plus rien, mais c’est encore trop. Peut-être, ces malvoyants passent-ils trop de temps devant des écrans de toutes sortes : mais qui va leur interdire d’acheter ce que vend le marché ? Pour ce qui est de lire de vrais livres, ils le font peu Sans lunettes, ils le feront encore moins : les grands auteurs littéraires ne sont pas, même indirectement, remboursés par la sécurité Sociale.
Didier Migaud est un évêque dans l’air du temps : il veut un État sobre, avec des citoyens responsables, dans un monde dirigé par des hommes qui ne sont ni sobres ni responsables. Avec des citoyens qui ne boivent pas, ne fument pas, ne b… peut-être pas, surtout si c’est dangereux ou tarifé, portent des montures peu coûteuses, sortent de suite de l’hôpital, évitent les pharmacies, surveillent leurs dépenses en pensant qu’elles sont, comme eux, probablement de trop (Un médicament sur deux serait inutile et l’autre rendrait malade, ce qui justifierait la fabrication du premier…). L’homme est une passion inutile aux poches percées. L’homme malade est devenu trop cher pour la société qui le produit – surtout s’il est pauvre. Que faire de lui ?
untitled-1-300x2491Pendant ce temps les riches s’enrichissent de plus en plus et de plus en plus vite, mais ce n’est pas la question. Les Migaud sont là pour rappeler aux autres pourquoi il est juste qu’ils ne le soient pas. Ce n’est pas qu’ils aient tort. Dans leur logique comptable, ils ont raison. Mais si l’on sort de cette logique, comme le hamster de la roue, ils ressembleraient plutôt à ce qu’on appelait naguère des idiots utiles.
Migaud le colchique
Le Migaud refleurit une fois l’an, comme le colchique, au moment du célèbre rapport de la Cour des comptes. On le sent orgueilleux d’apporter la mauvaise nouvelles au peuple perverti et endetté que nous sommes. 2 000 milliards d’euros de dette ! Il arrive un moment où les chiffres ressemblent aux étoiles, aux espaces infinis pascaliens. Ils ne signifient rien, sinon qu’ils sont là pour nous écraser. Heureusement, sur France 2, le 17 septembre, au JT, un journaliste a conçu un stratagème pour les rabattre sur nos vies. Ce journaliste envoie l’image de l’Arc de Triomphe, ce symbole national : «  Imaginez la dette publique en billets de 100 euros ! dit-il. Vous vous souvenez, il y a deux ans, on avait tenté la comparaison avec l’Arc de Triomphe, ces billets alignés les uns à côté des autres, empilés, j’ai envie de dire, sur 150 mètres de hauteur… » Non, nous ne nous souvenons pas … « … La dette était alors exactement de la même taille que le monument parisien, 1 700 milliards d’euros ! » Deux ans après, « la dette dépasse l’Arc de Triomphe d’un étage ! » Ça signifie quoi ? Les billets, voletant sur l’écran, matelassent alors les alentours du monument à l’Endetté inconnu.
J’ai voulu faire l’expérience avec ma propre dette. Je suis allé voir ma banquière et j’ai retiré l’équivalent de ce que je lui dois en billets, tout en lui promettant de tout rapporter expérience faite : elle avait vu comme moi le JT et c’est une femme compréhensive. Résultat : ma modeste dette personnelle atteint le niveau de la borne Autolib’ la la plus proche. Un coupe de vent- c’est déjà l’automne – a soudain dispersé le tas de billets, mais des Chinois, des Pakistanais, des Africains du quartier, un mendiant sans les jambes et même quelques Roumains m’ont aimablement aidé à tout ramasser. Je leur ai fait bien volontiers cadeau d’une dette qui ne m’appartient pas …
La dette et le servage
La dette de la France atteindra bientôt 95% du PIB. Il  faudra travailler plus pour rembourser plus sans jamais pouvoir éteindre la dette. Celle-ci a augmenté de 120 milliards en deux ans, malgré les 90 milliards d’intérêts versés aux prêteurs financiers, un tribut qui part ensuite dans les paradis fiscaux ! Car les puissants, c’est leur grand avantage, ne paient pas d’impôts. Formidable. Que faire ? Continuer la corvée ? L’épargne française représente quelque 12 000 milliards d’euros. La dette 2 000 milliard. Si l’on pique 2 000 milliards aux épargnants, il leur en reste encore 10 000. Et on a enfin la paix ! On utiliserait alors à bien d’autres choses les 46 milliards d’intérêts annuels, soit l’équivalent du budget de la recherche et de l’enseignement supérieur !
Lire aussi : Explosion de la dette : comment pourrait-elle baisser à partir de 2015 comme le prévoit Pierre Moscovici ?
La dette publique, une affaire rentable
Pour une commission d’enquête parlementaire sur la dette publique !
Les champions de la dette publique en France : dans l’ordre Fillon, Mauroy, Balladur (plus fort pourcentage de hausse). Voir le détail dans le tableau ci-dessous
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