Russie – L’inquiétude grandit sur le sort des militants de Greenpeace incarcérés à Mourmansk : une Russie d’un autre âge

Edito LE MONDE | 10.10.2013
….  Il ne faut pas être surpris du traitement réservé aux militants de Greenpeace. A quelques mois des Jeux olympiques de Sotchi, c’est de l’absence de réactions des dirigeants européens qu’il faut s’étonner.

Le knout contre Greenpeace,  une Russie d’un autre âge

Dans n’importe quel pays rationnel, l’opération de Greenpeace contre une plate-forme d’extraction pétrolière se serait terminée par des interpellations, de fortes amendes, au pire un peu de prison avec sursis. Depuis l’affaire du Rainbow-Warrior, le bateau de Greenpeace coulé il y a vingt-huit ans par les services français au prix d’un mort, le photographe Fernando Pereira, il n’est plus question de faire la guerre aux écologistes. Sauf en Russie.
L’élite militaro-sécuritaire au pouvoir croit aux vertus du knout, le fouet jadis utilisé dans l’empire. Dernier épisode en date dans le conflit qui fait rage entre les écologistes et le Kremlin, la justice russe a refusé, mardi 8 octobre, de libérer sous caution trois des vingt-huit militants de Greenpeace arrêtés et inculpés, ainsi que deux journalistes, d’acte de piraterie pour avoir cherché, fin septembre, à suspendre une banderole sur la plate-forme de forage pétrolier russe Prirazlomnaïa, dans l’Arctique. Maintenus en détention, les trente accusés risquent jusqu’à quinze ans de prison.
Les autorités russes font du mieux qu’elles peuvent pour assurer leur immersion complète dans le système carcéral. Les geôles de Mourmansk sont à l’image de la Russie de Vladimir Poutine : féodales – plusieurs des détenus n’ont pas accès à l’eau potable – et terriblement modernes – vidéosurveillance des prisonniers jusque dans les toilettes.
L’ARCTIQUE AU CŒUR DES FANTASMES DE PUISSANCE
Le président ne peut rien pour adoucir le sort des trente militants parce que, en Russie, le « système judiciaire est indépendant de l’exécutif », a dit son porte-parole. Le président n’est sûrement pas pour rien dans le déclenchement de l’opération héliportée lancée le 19 septembre contre l’Artic-Sunrise, le bateau de l’organisation, qui mouillait en dehors des eaux territoriales russes de l’Arctique. Le commando masqué et armé qui a fait irruption sur le pont ce jour-là dépend du FSB, les services de sécurité, placé directement sous l’autorité de M. Poutine.
La plate-forme, rafistolée à partir d’une vieille structure datant de 1984, est la propriété de Gazprom, le géant russe du gaz, véritable Etat dans l’Etat. Gazprom est aussi une affaire de famille, puisque Jorrit Joost Faassen, le gendre néerlandais de M. Poutine, a fait ses premières armes dans une de ses filiales entre 2007 et 2008, avant de se lancer dans le métier de consultant.
L’Arctique est au cœur des fantasmes de puissance des dirigeants de la Russie. Les grands projets (extraction des hydrocarbures et ouverture de la route maritime du Nord) se doublent d’ambitions militaires avec la réouverture de la base de l’île Kotelny, abandonnée il y a vingt ans. Dans une rhétorique de guerre froide, M. Poutine explique à son parti, Russie unie, que les missiles des sous-marins américains pourraient « atteindre Moscou en 16 ou 17 minutes ».
La disproportion de la réaction russe en dit beaucoup sur la fébrilité d’un régime gangrené par le clanisme et la corruption. Il ne faut pas être surpris du traitement réservé aux militants de Greenpeace. A quelques mois des Jeux olympiques de Sotchi, c’est de l’absence de réactions des dirigeants européens qu’il faut s’étonner.

amanifestation-a-paris-pour-la-liberation-des-militants-de-greenpeace-detenus-en-russie-le-27-septemb

manifestation à Paris pour la libération des militants de Greenpeace
LE MONDE | 09.10.2013 |

Inquiétude sur le sort des militants de Greenpeace

alemonde russie1514_a7_9307_le-centre-de-detention-d-apatity-a-2-000_3f394b58bef309e79da83ca998ba65bd

Le centre de détention d’Apatity, à 2 000 kilomètres au Nord de Moscou, où certains militants de Greenpeace sont détenus. | AFP/DMITRI SHAROMOV
L’inquiétude grandit sur le sort des militants de Greenpeace incarcérés à Mourmansk (Russie) après avoir tenté d’aborder la plate-forme pétrolière de Gazprom, Prirazlomnaya, qui devrait dès 2014 exploiter du pétrole dans des eaux glacées, au-delà du cercle polaire. Les témoignages font état de conditions de détention difficiles.
Le 19 septembre, un commando héliporté des gardes-frontières russes, dépendant des services de sécurité placés directement sous les ordres du président Vladimir Poutine, avait arraisonné le navire Artic-Sunrise de Greenpeace battant pavillon néerlandais en mer de Barents (Arctique russe). Les vingt-huit membres de l’organisation écologiste et deux journalistes ont été arrêtés et placés pour deux mois en détention préventive dans un centre de rétention de Mourmansk. Ils ont été inculpés de « piraterie en groupe organisé » et encourent jusqu’à quinze ans de prison. Aucune précision n’a encore été fournie quant au calendrier judiciaire.
Plusieurs militants détenus « n’ont pas d’accès à l’eau potable » et tous font l’objet « d’une vidéosurveillance permanente » jusque dans les toilettes, a relaté un avocat de Greenpeace, Sergueï Goloubok, à Mourmansk, lundi 7 octobre. Il envisage de déposer plainte devant la Cour européenne des droits de l’homme. « Sur une journée, ils passent vingt-trois heures en cellule et n’ont le droit qu’à une heure de promenade », confirme au Monde Ben Ayliffe, de la direction internationale de Greenpeace et responsable de la campagne Arctique.
COMME DES ANIMAUX »
Une autre plainte pourrait être déposée sur les conditions d’arrestation : « Des hommes armés et masqués ont fait irruption sur le pont du bateau, ne se présentant pas et menaçant l’équipage de leurs armes. Ils ont saisi les effets personnels, et c’est seulement après qu’ils ont établi des PV d’interpellation », relate un autre avocat de Greenpeace, Alexandre Moukhortov.
Le site de Radio Svoboda (Radio Free Europe en russe) a publié le 5 octobre le témoignage de la Néerlandaise Faiza Oulahsen. Au quatrième jour de sa détention provisoire, elle a pu faire passer une lettre manuscrite à l’une de ses collègues aux Pays-Bas. Elle y raconte comment les militants ont été maintenus en détention quelques jours sur le bateau, puis transférés vers le port de Mourmansk et incarcérés dans un « SIZO » (centre de détention provisoire). Ils ont eu dix minutes pour prendre leurs affaires. Dans sa lettre, Faiza Oulahsen dit regretter « de ne pas avoir pris assez de vêtements chauds ».
A l’arrivée, elle a pu s’entretenir brièvement avec le consul des Pays-Bas. Après plusieurs heures d’interrogatoire et de démarches d’« enregistrement », Faiza a pu enfin gagner sa cellule glaciale, éclairée en permanence par une ampoule. Le 26 septembre, les militants ont, selon elle, été transférés « dans des cages métalliques à barreaux, comme des animaux ».
L’ACCUSATION DE PIRATERIE NE TIENT PAS
« La réponse du gouvernement russe est totalement excessive, folle, estime Ben Ayliffe. Les Russes veulent nous intimider, mais je peux vous assurer que nous n’arrêterons pas : les dangers d’un forage dans l’Arctique sont plus importants que ceux que nous encourons. »
L’organisation internationale a-t-elle sous-estimé la riposte russe ? « Nous avions mené une action similaire en août 2012 et, malgré notre présence sur une plate-forme de Gazprom, il n’y avait eu aucune intervention des gardes-côtes russes », raconte M. Ayliffe. Pour Greenpeace, l’accusation de piraterie ne tiendra pas devant une cour de justice. « La piraterie ne peut se faire qu’à l’encontre d’un navire, ce que n’est pas une plate-forme pétrolière et même Gazprom le reconnaît, note Ben Ayliffe. Enfin, un acte de piraterie signifie que l’on veut prendre le contrôle par la violence d’un navire, ce qu’aucun acte de nos militants ne montre. »
Face à cette situation inédite pour l’ONG, qui n’a jamais connu de répression aussi massive, une cellule de crise internationale a été mise en place. Plusieurs équipes sont chargées de la communication, des questions juridiques ou encore des liens avec les familles des détenus. « Nous avons mis nos autres campagnes en sourdine et toutes nos actions vont être tournées vers la libération de nos militants, durant leurs deux mois de détention préventive », explique le directeur général de Greenpeace France, Jean-François Julliard.
Le gouvernement néerlandais a annoncé le lancement d’une procédure d’arbitrage internationale contre Moscou. Le vice-ministre russe des affaires étrangères, Alexeï Mechkov, s’est contenté de répondre : « Nous avons beaucoup plus de questions à poser aux Néerlandais qu’ils n’en ont à nous poser. »
Rémi Barroux  Journaliste au Monde
Marie Jégo (à Moscou) Journaliste au Monde
Lire l’interview de Jean-Marc Thouvenin, professeur de droit international : « Piraterie : « La douteuse inculpation des militants de Greenpeace »

A propos kozett

Deux phénomènes peuvent amener à une manipulation dans la prise en compte des informations par notre conscience : --> Le mirage qui voile et cache la vérité derrière les brumes de la sensiblerie et de la réaction émotionnelle. --> L’illusion qui est une interprétation limitée de la vérité cachée par le brouillard des pensées imposées. Celles-ci apparaissent alors comme plus réelles que la vérité qu’elles voilent, et conditionnent la manière dont est abordé la réalité … A notre époque médiatisée à outrance, notre vigilance est particulièrement requise !
Cet article, publié dans Débats Idées Points de vue, International, Justice, est tagué , , , . Ajoutez ce permalien à vos favoris.