Libération 07/11/2013
Dans un texte publié jeudi dans Libération, l’écrivaine Christine Angot réagit à l’interview de la ministre de la Justice Christiane Taubira sur le racisme. En voici un extrait :
«Chère Christiane Taubira,
Je viens de lire votre interview dans Libération, tout ce que vous dites est vrai, juste, ce n’est pas de ça que je veux parler, je veux vous parler de la fin de votre interview, on vous demande : «Avez-vous été déçue par la faiblesse des réactions qui ont suivi les attaques dont vous avez été victime ?» Entre crochets, il y a d’abord écrit : «soupir». Vous poussez donc un soupir puis vous répondez. Vous parlez des messages de soutien qui vous ont été adressés à titre personnel, vous expliquez que c’est gentil mais que ce n’est pas le propos, et vous avez raison. Vous parlez de l’analyse de l’historien Pascal Blanchard, que vous dites juste mais qui n’est pas une alerte, et vous avez aussi raison. Vous dites que des consciences françaises pourraient dire que les injures racistes dont vous avez fait l’objet ne sont pas périphériques mais sont «une alarme», ne sont plus un signe mais une alarme, un signal d’alarme, dites-vous, car quelque chose dans notre société se «délabre», c’est votre mot, se dégrade, fout le camp, pourrit, est sale, est crade, est dégueulasse, est nul, est fini, est foutu, et vous avez raison. Et puis vous dites, je vous cite : «Ce qui m’étonne le plus, c’est qu’il n’y a pas eu de belle et haute voix qui se soit levée pour alerter sur la dérive de la société française.»
Là encore, vous avez raison, mais puisque vous dites que vous êtes étonnée, permettez-moi une explication. Lire ci-dessous
Libération publie aujourd’hui « Chère Christiane Taubira », une tribune de l’écrivaine Christine Angot qui s’adresse à la ministre de la Justice suite à son interview donnée à Libé hier. C’est un texte très fort qui dit l’impuissance qu’on peut ressentir devant le racisme. En voici un extrait :
« Vous dites, je vous cite : » Ce qui m’étonne le plus, c’est qu’il n’y a pas eu de belle et haute voix qui se soit levée pour alerter sur la dérive de la société française. «
[…] Nous n’avons rien dit parce que nous ne savons pas comment faire, comment dire ce que nous ressentons, nous ne trouvons pas les mots pour expliquer la terreur qui nous saisit à la gorge, la peine radicale, plus que profonde, radicale, une tristesse qui touche le fond, que nous éprouvons, cette histoire de banane nous tue. Nous tue, je pèse mes mots. Et quand quelque chose vous tue profondément vous ne pouvez rien dire. Vous êtes cloué sur place, vous pourriez crier, vous pourriez hurler, ça oui, mais vous ne pouvez pas élever une belle et haute voix, vous hurlez tout seul devant votre télé, vous avez l’impression que l’humanité est en train de se diviser en deux, sous vos yeux, vous sentez que vous n’avez rien de commun avec ces gens qui se permettent de traiter une femme de guenon, leur bestialité vous fait horreur, leur bêtise vous fait mal, vous vous sentez rejeté de la masse, du groupe, vous ne pouvez parler ni avec eux ni contre eux avec d’autres frontalement, vous ne savez pas comment faire […] »