Big pubard is watching you !

Le site Charlie Hebdo – 15 Nov 2013 – Gérard Biard
L’époque où, pour échapper à la pub, il suffisait d’avoir une prostate capricieuse, de ne jamais allumer ni sa télévision ni sa radio, d’arracher la moitié des pages du Nouvel Obs, de dormir dans le bus et le métro, de marcher en baissant la tête et de conduire les yeux fermés, est bel et bien révolue. C’était le bon temps, comme on dit. Après s’être, dans les années 1980-1990, vue comme un «art», la voilà aujourd’hui dans la même confusion sémantique qui nous amène à appeler réseaux «sociaux» des systèmes qui conduisent le plus souvent à se regarder le nombril ou à se couper du monde réel, baptisée «communication», envahissant tous les champs du possible, sortant soi-disant du champ commercial pour tout transformer en commerce.
imagesCAIAFJ9ENous ne vivons plus seulement entourés d’images — que nous sommes la plupart du temps, faute d’éducation appropriée, incapables de lire correctement —, désormais, tout est image: la politique, l’information, le quotidien, le travail, les loisirs, la culture, l’intime… La pub, devenue com, est partout. Et tout le monde, d’une façon ou d’une autre, s’y adonne. Les adeptes du branding, avec leurs logos tatoués ou marqués à même la peau, font presque figure de dinosaures face à l’armée d’esclaves consentants qui se transforment, banane aux lèvres et regard illuminé, en produits à la date limite de consommationdéjà dépassée, parce que la vitesse, maître mot de la société contemporaine, n’attend pas. Même les pubards, parfois, n’y retrouvent plus leurs petits…
Prenons une journée ordinaire, fin 2013. Votre radioréveil sonne. Bien qu’il soit verrouillé sur France Inter, jpg_dessin885_titom_prise_de_pubvous n’échappez pas, à peine les yeux ouverts, à une petite page de publicité institutionnelle. Vous fuyez la salle de bains, où votre compagne ou compagnon prend sa douche, au son des jingles de NRJ. Vous traversez le salon, où votre petit dernier est scotché devant les pubs animées de la télévision matinale, pour gagner la cuisine, où son frère est en train de surfer sur le Web, les yeux déjà envahis de pop-up, tandis qu’il consulte d’une main sa page Facebook pour savoir si ses 28 736 «amis» ont bien reçu les 400 photos de sa tartine qu’il vient de leur envoyer. Vous décidez d’aller prendre votre petit déjeuner au troquet d’en bas, où vous restez le nez dans votre tasse de café pour échapper aux écrans qui diffusent des clips commerciaux ou les chaînes d’infopub continue. Entre-temps, votre portable aura sonné trois fois: votre opérateur, qui vous propose un nouveau forfait, un robot vocal qui vous demande de rappeler au 00880 4218763225 pour bénéficier d’une offre limitée, enfin, une mutuelle qui vous demande si vous avez une mutuelle.
Comme il fait beau, vous marchez jusqu’à votre bureau en vous concentrant pour ne pas voir les logos qui éclatent sur les fringues des passants. Soudain, un attroupement attire votre attention. La rue est bloquée par un accident : un homme est tombé d’un toit et s’est empalé sur une grille. Mais, quand les infirmiers, pompiers et policiers arrivés sur les lieux du drame commencent à distribuer des flyers et que tous les smartphones des badauds sonnent pour signaler un buzz sur Twitter et Facebook, vous vous rendez compte que vous êtes coincé au milieu d’une opération de street marketing organisée par les pansements Urgo.
Enfin arrivé, déjà épuisé, à votre bureau, vous allumez votre ordinateur et tentez, une demi-heure durant, untitledmais en vain, de faire disparaître les fenêtres publicitaires qui occupent la moitié de votre écran quand vous essayez de consulter vos mails. Déprimé, vous cherchez à vous détendre en parlant politique avec vos collègues. Après avoir entendu trois fois qu’Hollande est un mauvais président parce qu’il met toujours sa cravate de travers et cinq fois que Marine Le Pen a une bonne image, vous avalez une demi-boîte de Prozac et vous vous roulez en boule sous votre bureau, où vous restez jusqu’à la fin de la journée, sans que personne remarque votre absence. Quand vous en émergez, à la nuit tombée, vous croisez l’homme de ménage, qui écoute Rire et Chansons en passant le chiffon. Manque de bol, vous tombez juste au moment où, entre deux sketches de Bigard, Chevallier et Laspalès vantent les joies de la Matmut. Définitivement laminé, vous sortez dans la rue et vous vous jetez sous un camion-poubelle. Mais ce n’est vraiment pas votre jour: la marque des pneus reste imprimée sur votre cadavre. Vous serez enterré en victime du branding.
Cette journée de cauchemar est à peine imaginaire. La publicité a enfin réalisé son vieux rêve totalitaire: être partout, tout le temps, sur tous les tons, s’imposer, s’insinuer dans tous les interstices, y compris les plus intimes. La formule «Vous avez un message» ne se limite plus aux répondeurs téléphoniques, elle s’applique désormais à chaque seconde du quotidien. Quand elle ne se transforme pas en «Vous êtes un message»…
Face à ce constat, la question n’est donc plus de savoir comment combattre, critiquer, s’opposer à la pub, mais, plus prosaïquement, comment y échapper. Comment la faire sortir de notre vie si nous voulons qu’elle continue à ressembler à une vie.
Cet article est extrait de notre nouveau hors-série, À bas la pub !
Nouveau hors-sérieAu début, elle s’appelait « réclame ». Puis, de mutations en mutations, elle est devenue, au temps de son âge d’or, la « pub ». Aujourd’hui, elle a adopté le nom rassurant de « communication », et, telle un virus, a colonisé tous les espaces disponibles, publics et privés, réels et virtuels. Nous ne vivons plus seulement entourés d’images, désormais, tout est image : la politique, l’information, le quotidien, le travail, les loisirs, la culture, l’intime… La publicité est partout, et tout le monde, d’une façon ou une autre, lui sert de support. Et ce n’est qu’un début. À l’affût de la moindre découverte technologique, elle envisage même d’aller nous chercher jusque dans notre sommeil. Si, si.

A propos werdna01

Hors des paradigmes anciens et obsolètes, libérer la parole à propos de la domination et de l’avidité dans les domaines de la politique, de la religion, de l’économie, de l’éducation et de la guérison, étant donné que tout cela est devenu commercial. Notre idée est que ces domaines manquent de générosité et de collaboration.
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