Dérapage – Après les délires de Christine Boutin, voici les insultes de Nathalie Kosciusko-Morizet : Mépris du journalisme, soumission de la presse ?

Nouvel Obs  13-12-2013  Par Bruno Roger-Petit Chroniqueur politique
NKM 01« Vous me faites chier ! »: NKM insulte la presse dans le métro, un intrigant dérapage
 Ce genre d’incident, que personne ne relève, qui ne provoque aucune réaction de la part des journalistes, en dit long sur la relation politique/journaliste à la française. Celle-ci demeure inégale, empreinte d’un rapport dominant/dominé dont elle peine à s’extraire, et ce phénomène, hélas, est propre à la France. Le plus intrigant de l’affaire réside dans la réaction des journalistes maltraités par NKM. À aucun moment, ils ne s’interrogent sur le sens et la portée de l’apostrophe grossière, sur ce qu’elle implique dans la relation entre le politique et le journaliste, sur l’effrayante domination de classe qu’elle révèle, d’un coup.

aleplus NKM

 LE PLUS. Dans la cadre de la campagne pour les municipales à Paris, Nathalie Kosciusko-Morizet s’en est pris à des journalistes qui souhaitaient la suivre dans le métro, jeudi 12 décembre, en leur lançant : « Non, mais là vous me faites chier ! »
 Pour Bruno Roger-Petit, cet épisode est emblématique du retard des politiques français en matière de communication et de respect de la liberté de la presse
 Et soudain, juste avant d’arriver sur le quai du métro, Nathalie Kosciusko-Morizet se tourne vers les journalistes et photographes et leur lance : « Non, mais là vous me faites chier ! vous allez pas me suivre quand même ? »
 Puis elle continue son chemin, s’engouffre avec sa suite dans une rame, l’une des collaboratrices de la candidate faisant barrage aux reporters en quête de l’image qui peut (encore) tuer : NKM de retour dans le métro pour un nouveau « moment de grâce ».

aNKM pose pr la presse

 La candidate UMP prend la pose quand même. Les photographes photographient, puisque telle est leur fonction. Puis, ils s’interrogent : « Nous a-t-elle manipulés ? » Sans se douter que ce n’est pas la première question qu’ils doivent se poser, celle-ci étant : « De quel droit nous injurie-t-elle et pourquoi la laisse-t-on faire ? »
 Tout est vrai mais rien n’est authentique
 La scène est racontée sur le formidable blog « Développements », du journaliste-photographe Sébastien Calvet, blog où ce dernier, depuis plusieurs années, dévoile les cas de conscience du reporter photographe à travers anecdotes et historiettes sur les coulisses du reportage politique en images.
 En sous-texte, c’est aussi un blog impitoyable sur la communication politique à la française, tous partis confondus, entre amateurisme et improvisation, loin de la perfection des machines américaines que tous prétendent copier. Preuve en est le récit de cet incident avec NKM dans le métro, quand la candidate s’autorise à lancer à des journalistes ce « Là, vous me faites chier ! »
Avant d’en venir aux gros mots, le reporter photographe narre une scène emblématique des sorties de politiques en campagne sous les objectifs des caméras et appareils photos.
 Les exigences stupides des attachés de presse. Les mises en scène pathétiques destinées à faire vrai en plaçant des gens « castés » sur le passage du candidat et qui vont lui poser des questions auxquelles il a toutes réponses. Les interdictions de filmer ou photographier sans raison ni cohérence. Les plans com’ foireux. Les cohues de photographes et cameramen, les uns étant les ennemis héréditaires des autres et réciproquement…
 Nkm barbie.jpg 02Comme d’habitude, filmer et photographier un politique français en campagne, NKM ou un autre, c’est filmer et photographier un artifice. Tout est vrai, mais rien n’est authentique, ce que démontre parfaitement Sébastien Calvet dans ce récit comme les autres, son vrai travail cherchant à capter ce qui sera réellement authentique dans cet univers factice.
 L’incident NKM que rapporte Calvet apporte un petit plus à l’ordinaire de ses chroniques, et c’est en cela qu’il fait sens.
 Un rapport dominant/dominé
 En premier lieu, il renseigne sur la nature profonde de NKM. Elle a beau dire et faire, tenter de se poser en candidate proche du peuple et des classes moyennes, chez elle, l’habitus grand bourgeois revient toujours au galop. Apostropher des journalistes grossièrement, comme on le ferait avec des gens de maison à sa botte, ce n’est pas se montrer à son avantage. Et cela peut coûter cher.
 Mais l’élément le plus intrigant de l’affaire réside dans la réaction des journalistes maltraités par NKM. À aucun moment, ils ne s’interrogent sur le sens et la portée de l’apostrophe grossière, sur ce qu’elle implique dans la relation entre le politique et le journaliste, sur l’effrayante domination de classe qu’elle révèle, d’un coup.
Et quand NKM s’engouffre dans la rame après les avoir quasi-injuriés, ils n’osent monter, ils obéissent à l’ordre de l’attaché de presse qui leur barre le passage (de quel droit ?) : « L’attachée de presse se place devant nous : ‘Ah non vous ne montez pas!’ Personne ne pousse. Personne ne veut monter. Nous faisons juste une image d’une femme dans le métro. Les photographes restent sur le quai. Trop polis ? Je ne sais pas. »
 Étonnant : c’est NKM qui use de mots grossiers, insulte les journalistes qui font « chier », se comporte en Marie-Antoinette Madame Sans-Gêne, et ce sont les journalistes qui se demandent s’ils ne sont pas « trop polis ». Et au lieu de se demander s’ils ne devraient pas boycotter, tous, sans exception, le prochain déplacement mis en scène par NKM, ils se demandent s’ils n’ont pas été manipulés. Loin de la vraie question…
 Ce genre d’incident, que personne ne relève, qui ne provoque aucune réaction de la part des journalistes, en dit long sur la relation politique/journaliste à la française. Celle-ci demeure inégale, empreinte d’un rapport dominant/dominé dont elle peine à s’extraire, et ce phénomène, hélas, est propre à la France.
 Et au lieu de s’interroger d’abord et avant tout sur l’insupportable comportement de NKM, le scrupuleux Sébastien Calvet se met en cause lui-même, ses méthodes, son travail : « La question est : jusqu’où aller ? À partir de quel geste le photographe politique oublie toute idée d’éducation, de politesse. »
La culture ORTF demeure
 Si NKM s’était livrée à une telle sortie aux États-Unis, pays où la presse est reine, où on ne plaisante pas avec l’indépendance et la liberté des journalistes, l’incident aurait causé un scandale sans précédent.
 Aux États-Unis, s’en prendre à un journaliste, c’est mépriser tous les citoyens américains. Pour tout dire, si NKM était candidate à la mairie de New-York et traitait les journalistes locaux de « motherfuckers », elle le paierait d’une campagne de presse hostile jusqu’à ce qu’elle présente ses excuses avant de retirer sa candidature.
 Mais en France, ce n’est pas le cas. Au contraire, les journalistes se demandent s’ils ne sont pas « trop polis » dès lors qu’après avoir été insultés, ils obéissent aux interdits qu’on leur inflige. En matière de télévision notamment, malgré le choc de l’arrivée des télés privées, au milieu des années 1980, malgré l’irruption des chaînes d’infos, au début des années 2000, la culture ORTF de la révérence au pouvoir, surtout de droite, demeure.
 Le plus paradoxal, c’est que ce rapport inégal entre journalistes et politiques ne sert pas les politiques, contrairement à ce que ces derniers continuent de penser, qui jugent que les journalistes de télévision et d’images sont là pour les servir.

NKM 03

 NKM (et elle n’est pas la seule en politique) continue de vivre dans un univers médiatique strictement institutionnel qu’elle pense maîtriser de bout en bout. Les journalistes ne sont que des relais, au service de sa communication.
NKM a beau se camper en politique moderne, se piquer de pratiquer une communication à la pointe, être entourée d’une armée de communicants réputés chevronnés, elle n’a tiré aucune leçon de l’affaire « Casse-toi pov’con », qui coûta si cher, en termes de dégradation d’image, à Nicolas Sarkozy.
 Dans quel monde vivent les communicants de NKM ?
 Mesurons ensemble le risque pris par NKM. Si un cameraman présent, ou n’importe quel quidam passant par là et muni d’un smartphone, avait enregistré la scène, celle-ci ne serait pas racontée sur le blog de Sébastien Calvet et commentée sur le Plus par l’auteur de ces lignes.
 Elle tournerait sur les réseaux sociaux à l’infini, « enflammerait le web », et les médias traditionnels seraient in fine contraints d’en assurer la définitive publicité. C’est ainsi qu’est née la légende du « Casse toi pov’con ! » qui causa tant de tort à Nicolas Sarkozy lors de son passage au salon de l’Agriculture en 2008.
 Si elle continue ainsi sa campagne, la prochaine fois, ce ne sera pas un billet de blog et un commentaire sur le Plus que la candidate UMP à Paris devra affronter, ce sera un tsunami médiatique, donc politique, car tôt ou tard, une image, saisie à la volée, viendra illustrer le dérapage.
Dans quel monde ancien vivent les communicants de NKM ?
 Est-ce si difficile d’enseigner à son poulain que dès lors qu’il met un pied dans l’espace public ultra-médiatisé, il se doit, en tous lieux, en toutes circonstances, de demeurer en alerte, se garder de tout emportement, de tout dérapage, de rester en mode second corps du roi, et ce sous peine de voir l’instant du manquement immortalisé en vidéo sur Twitter cinq minutes plus tard ?
Un retard français en matière de com’
 Cet épisode NKM, ce « Là, vous me faites chier ! » est emblématique du retard des politiques français en matière de communication politique et de respect de la liberté de la presse. Les politiques vivent dans un monde médiatique en retard de vingt ans.
 Ce n’est plus eux les propriétaires du théâtre médiatique, ils n’en sont plus que des acteurs, incapables de trouver les bons metteurs en scène parce que se persistant à demeure dans un espace temps dépassé.
 Quand viendra l’heure du bilan, la campagne municipale NKM méritera d’être étudiée dans toutes les bonnes écoles de communication politique comme l’exemple type de ce qu’il ne faut pas faire.
 Mépriser les journalistes et communiquer comme en 1985, ce n’est pas seulement une erreur, c’est une double faute
Édité par Sébastien Billard  Auteur parrainé par Benoît Raphaël

A propos kozett

Deux phénomènes peuvent amener à une manipulation dans la prise en compte des informations par notre conscience : --> Le mirage qui voile et cache la vérité derrière les brumes de la sensiblerie et de la réaction émotionnelle. --> L’illusion qui est une interprétation limitée de la vérité cachée par le brouillard des pensées imposées. Celles-ci apparaissent alors comme plus réelles que la vérité qu’elles voilent, et conditionnent la manière dont est abordé la réalité … A notre époque médiatisée à outrance, notre vigilance est particulièrement requise !
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