Educateurs de rue à la rue

Siné Mensuel N°26 décembre 2013 – Véronique Brocard
Le 1er janvier prochain, la cinquantaine d’éducateurs spécialisés du Loiret n’auront plus de travail Le conseil général, présidé par un UMP tendance dure, a décidé de leur couper les vivres Raison invoquée ? Ils sont inutiles…
Un hangar bien rangé, des vélos en réparation, des prototypes de moto en construction, un établi impeccable, des outils alignés : l’atelier est un espace accueillant et propre. N’y entre que celui qui porte une cotte et des chaussures de sécurité. Et respecte le règlement intérieur « Se mettre dans une nouvelle peau, c’est important. Appliquer des consignes aussi. « C’est le début d’une prise de conscience chez les jeunes qu’on reçoit« , explique Dominique Morisset, le responsable de ce chantier éducatif installé dans la banlieue d’Orléans, pas loin du quartier difficile de la Source. Chaque année, une centaine d’adolescents viennent y apprendre à réparer les deux roues, fabriquer de nouvelles mobylettes avec de vieilles carcasses, s’initier aux consignes de sécurité et au port du casque, respecter le matériel « au lieu de rouler à toute vitesse sur des minimotos et faire n’importe quoi. « Ils se responsabilisent« , précisent les éducateurs qui s’occupent de « ces jeunes qui tiennent les murs« . « Bientôt, c’est nous qui le tiendrons« , notent-ils avec un humour teinté d’amertume. Parce que dans un mois, l’atelier, la présence de ces adultes dans les rues et les immeubles, le contact direct avec les gamins et la famille, les liens avec les établissements scolaires qui signalent un décrocheur, ce maillage indispensable à une jeunesse en marge mais pas encore délinquante, cette fabrique de lien social afin de prévenir l’exclusion et la marginalisation des mineurs, bref, tout cela disparaîtra, le 1er janvier 2014 exactement.
Le conseil général du Loiret a en effet décidé de supprimer la subvention de 1050404 € qui faisait vivre la cinquantaine d’éducateurs spécialisés Pourquoi ? Parce qu’aux yeux de son président-sénateur, Eric Doligé, Ils sont inefficaces A preuve : « Les signalements préoccupants des jeunes en difficulté ne cessent d’augmenter dans le Loiret ». Comme si cette augmentation n’avait aucun rapport avec le durcissement du contexte social et la crise économique.
Les flics prendront le relais
Pour enfoncer le clou et faire taire les persifleurs, le conseil général a fini par sortir l’arme lourde en avançant deux arguments : d’une part, s’occuper de la prévention spécialisée est facultatif pour les assemblées départementales et, d’autre part, les actions menées par les éducateurs de rue relèvent de la prévention de la délinquance, donc de l’État. Allez, démerdez-vous, Messieurs du gouvernement, semble leur dire Eric Doligé, le même qui déclarait, le 24 septembre 2013, lors des journées parlementaires UMP : « Moi, je dois vous dire que j’ai un instinct meurtrier en ce moment. Je suis comme la plupart des citoyens, moi, je ne supporte pas Hollande et sa bande ! »
« Ce sont les jeunes qui vont trinquer, ils n’auront plus personne pour les aider à ne pas plonger dans la drogue ou la délinquance. Je ne leur donne pas trois mois pour qu’ils deviennent guetteurs de dealers« , tempête Bruno Clément qui, avec son équipe d’éducateurs, va pointer au chômage. « Et cette très jeune fille de 11 ans et demi qui a été virée de son collège, quelques semaines après son entrée en sixième ? Le temps qu’on lui trouve un autre établissement, c’est nous qui nous en occupons. Mais après, où va-t-on la retrouver ? Qui va prendre le relais ? Il ne restera plus personne.  Des flics ou des CRS. » En tout cas, plus d’adultes formés pour écouter, inciter – les actions sont entreprises sur la base du  volontariat des jeunes -, recadrer des jeunes et les aiguiller vers des apprentissages, des contrats de formation, des activités sportives ou techniques. 
Surtout, ne croyez pas que le conseil général du Loiret n’aime pas la jeunesse, bien au contraire. Il a eu une belle idée : promouvoir le cartable électronique. D’ici 2017, 34 000 tablettes informatiques vont être distribuées aux collégiens de Loiret, enfin ceux qui sont scolarisés. Coût de l’opération 10 200 000€, soit dix fois le budget annuel alloué aux éducateurs de rue. Tout est donc bien dans le meilleur des mondes. Des instincts meurtriers, qu’il disait.

A propos werdna01

Hors des paradigmes anciens et obsolètes, libérer la parole à propos de la domination et de l’avidité dans les domaines de la politique, de la religion, de l’économie, de l’éducation et de la guérison, étant donné que tout cela est devenu commercial. Notre idée est que ces domaines manquent de générosité et de collaboration.
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