La Russie de Poutine : tous traîtres…

CLES – janvier 2014 -par Djénane Kareh Tager
Depuis la réélection de Poutine, une chape de plomb s’est abattue sur la Russie. une nouvelle loi peut faire de chacun un “agent de l’étranger”.hrw2
Le président de l’ONG Memorial tenant la photo de Natalia Estemirova, assassinée en juillet 2009 alors qu’elle enquêtait sur les violations des droits de l’homme en Tchétchénie.
Le couperet est tombé le 20 juillet 2012. Depuis ce jour, la Russie est juridiquement dotée d’une nouvelle catégorie de citoyens : les « agents de l’étranger », contraints de se signaler comme tels auprès de l’administration sous peine de sanctions – de lourdes amendes et de la prison. Une loi, signée par Vladimir Poutine moins de trois mois après son retour à la présidence de la République, « aide » les citoyens à savoir s’ils entrent dans cette catégorie. Son nom : la 121-FZ.
Cette loi est devenue le cauchemar du milieu associatif russe. Celui-ci lui reproche bien sûr l’utilisation du terme « agent de l’étranger » – synonyme, ici comme dans le reste du monde, de « traître » et d’ « espion ». Mais ce qu’il dénonce par-dessus tout, c’est sa perversité. Car la 121-FZ a pour particularité d’être rédigée en termes tellement flous, ouvrant la voie à tant d’interprétations, qu’en fin de compte, n’importe quel individu peut être considéré coupable de l’avoir transgressée. Elle fait peser sur la société une chape de plomb, et aide une dictature qui ne dit pas son nom à « supprimer les organisations indépendantes et à contrôler toute activité qui touche la vie publique », dénonce Hugh Williamson, responsable des zones Europe et Asie centrale à Human Rights Watch.
Selon cette loi, une association qui « reçoit des fonds étrangers » et « s’engage dans des activités politiques » doit se signaler comme « agent de l’étranger ». Qu’est-ce que des « fonds étrangers » ? C’est toute somme d’argent, même minime, qui n’est pas à 100 % russe. Une dotation de l’ONU ou de la Commission européenne, un soutien d’un particulier non russe vivant en Russie, ou d’un Russe vivant hors de Russie, entrent dans ce cadre – laissé à l’appréciation des enquêteurs de l’administration. Et qu’est-ce qu’une « activité politique » ? Vaste question à laquelle un début de réponse est apporté en dressant l’inventaire à la Prévert des associations qui ont reçu des avertissements et ont été sommées de se justifier. Il y a, par exemple, une association d’aide aux personnes atteintes d’une fibrose kystique. Un groupe voué à la sauvegarde de la faune sauvage. Le Comité des mères de soldats de Saint-Pétersbourg. L’association « Non à l’alcoolisme et aux drogues » de Saratov. L’ONG Environmental Watch du Nord-Caucase – qui, il est vrai, dénonce les dégâts écologiques causés par la mise en place des JO d’hiver 2014 à Sotchi. Toutes les ONG de défense des droits de l’homme évidemment, dont Human Rights Watch – qui a mené une vaste enquête à ce sujet, entre janvier et avril 2013.
A l’heure d’écrire ces lignes, aucune association n’avait entamé les démarches exigées. « Nous ne serons jamais les agents de personne, nous continuerons à recevoir des aides de l’étranger, et nous n’en ferons pas mystère », tempête Lev Ponomarev, responsable de l’ONG For Human Rights. Ses confrères d’Agora ont demandé au ministère de la Justice une définition de l’expression « activités politiques » pour savoir s’ils entraient dans la catégorie des « agents de l’étranger ». La réponse officielle leur est parvenue, ainsi libellée : « Nous ne sommes pas autorisés à répondre à cette question. » i684561127-3OliverSuite au retour de Poutine à la tête de la Russie, en mai 2012, la répression qui s’abat sur la société civile est inédite depuis la fin de l’ère soviétique, affirme, preuves à l’appui, Human Rights Watch. Outre la 121-FZ, une série de lois, dignes des plus sordides dictatures, a resserré l’étau autour des libertés. La loi dite « Dima Yakolev » – du nom d’une petite Russe décédée aux Etats-Unis quelques mois après avoir été adoptée par une famille américaine – interdit aux ONG de recevoir des fonds provenant des Etats-Unis et menace celles qui « agissent contre les intérêts russes ». Un concept tout aussi flou que celui d’« activités politiques ». Une troisième loi donne de la « trahison » une définition tellement vaste que n’importe quelle action en faveur des droits de l’homme peut y entrer – intervenir dans une conférence internationale suffit à devenir « traître ». Une autre définit le droit de manifester de manière si serrée que tout regroupement de plus d’une dizaine de personnes devient hors la loi. Sans oublier les restrictions sur Internet où il est par exemple interdit de « promouvoir le suicide ». Résultat ? Le célèbre blogueur Rustem Adagamov s’est vu contraint, sous 24 heures, de retirer de son site la photo d’un moine tibétain s’immolant. Et l’artiste Artemy Lebedev de supprimer un lien vers une vidéo humoristique sur « les façons les plus stupides de mourir », créée par la compagnie des trains de Melbourne dans le cadre d’une campagne de prévention.
Aussitôt ces lois promulguées à une vitesse qui laisserait pantois tout apprenti constitutionnaliste (18 jours entre le début des débats au Parlement et leur ratification par Poutine), les médias officiels se sont déchaînés contre ceux qui ont osé dénoncer cette chape de plomb, les accusant, en termes triviaux, d’être des « larbins de l’Occident ».
 Certes, en octobre dernier, le Conseil de l’Europe a timidement dénoncé ces lois, « potentiellement régressives en matière de démocratie ». Catherine Ashton, haute représentante de l’Union pour les Affaires étrangères, s’en est même émue. Ensuite ? Plus rien. Poutine est reçu aux G8 et autres G20 par les dignitaires du monde entier, il continue de soutenir toutes sortes de dictatures… et les affaires internationales suivent leur cours.
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