Justice – Philippe Courroye : L’instance disciplinaire considère qu’il n’y a pas lieu de prononcer des sanctions contre lui, mais elle assortit cette conclusion de réserves qui sont autant de condamnations morales.

LE MONDE | 29.01.2014 | Pascale Robert-Diard
Le Conseil supérieur de la magistrature ne demande aucune sanction contre Philippe Courroye
A lire les dix-huit pages de l’avis rendu mardi 28 janvier par le Conseil supérieur de la magistrature sur la procédure disciplinaire engagée contre l’ex-procureur de Nanterre, Philippe Courroye, on comprend mieux les quatre semaines de délai supplémentaire qui ont été requises pour sa rédaction.
Celle-ci témoigne en effet de la profonde divergence de vues qui s’est exprimée entre les membres du Conseil – elle était déjà manifeste à l’audience des 14 et 15 novembre 2013 – et de la synthèse périlleuse à laquelle il s’est finalement résolu, au risque de rendre son avis inintelligible.
Cela vaut d’abord pour le principal intéressé, Philippe Courroye. L’instance disciplinaire considère qu’il n’y a pas lieu de prononcer des sanctions contre lui, mais elle assortit cette conclusion de réserves qui sont autant de condamnations morales. L’avis relève ainsi qu’il apparaît, « au vu de l’ensemble des éléments du dossier qui lui ont été soumis, que [M. Courroye] ne disposait pas des qualités requises pour diriger un parquet ».
L’ex-procureur de Nanterre était renvoyé devant le CSM à la suite d’une plainte déposée par Le Monde et par deux de ses rédacteurs, Jacques Follorou et Gérard Davet, dont les relevés téléphoniques (les « fadettes ») avaient été réquisitionnés alors qu’ils enquêtaient sur l’affaire Bettencourt, en violation de la loi sur le secret des sources des journalistes.
En demandant les factures détaillées, M. Courroye cherchait alors à déterminer comment les journalistes du Monde avaient pu apprendre, le jour même, qu’une perquisition était effectuée chez l’héritière du groupe L’Oréal, Liliane Bettencourt, par la juge Isabelle Prévost-Desprez, présidente de la 15e chambre du tribunal correctionnel de Nanterre, qu’une rivalité frontale opposait alors à Philippe Courroye dans la gestion des dossiers politiquement sensibles des Hauts-de-Seine.

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M. Courroye ne pouvait « méconnaitre la valeur de la garantie fondamentale » de la protection des sources
« GRAVE ERREUR D’INTERPRÉTATION »
Sur ce point de l’atteinte au principe de la protection des sources des journalistes, qui constituait le principal grief formulé par la plainte du Monde, le Conseil souligne que Philippe Courroye, « magistrat expérimenté », ne pouvait « méconnaître la valeur et la portée de cette garantie fondamentale ». En ordonnant de solliciter directement les « fadettes » des journalistes, le procureur de Nanterre a « gravement méconnu le principe de proportionnalité » entre les nécessités de l’enquête et la protection due aux sources des journalistes, indique l’avis.
S’il considère que « la précipitation avec laquelle M. Courroye a agi, dans un domaine sensible régi par un texte récent à l’époque des faits, est manifestement critiquable », le CSM relève toutefois que cette « grave erreur d’interprétation » commise par le chef du troisième parquet de France « ne permet pas, à elle seule, d’établir le caractère délibéré de la violation par un magistrat d’une règle de procédure constituant une garantie essentielle des droits des parties ».
Dans sa plainte, Le Monde évoquait, comme deuxième grief à l’encontre de Philippe Courroye, le fait que celui-ci avait usé de sa qualité hiérarchique pour tenter de convaincre des policiers de faire un acte de procédure qui lui était favorable. Pour Le Monde, cette démarche s’apparente à une « pression ».
Là encore, le CSM condamne moralement M. Courroye en soulignant que « le fait de solliciter le chef hiérarchique d’officiers de police judiciaire, dans une information judiciaire le concernant personnellement, jouant sur la confusion entre sa situation judiciaire pénale et l’autorité qu’il exerce sur ces dossiers, constitue un comportement fautif », mais l’exonère là encore de sanction disciplinaire, contrairement aux conclusions déposées à l’audience par le représentant de la chancellerie.
Le CSM ne manque pas en revanche de s’exonérer de sa propre responsabilité dans les manquements reprochés à Philippe Courroye en rappelant qu’il s’était opposé à sa nomination à la tête du parquet de Nanterre en 2007 (la garde des sceaux de l’époque, Rachida Dati, était passée outre cet avis). Christiane Taubira a indiqué qu’elle rendrait sa décision d’ici à la fin de la semaine.
Pascale Robert-Diard  Journaliste au Monde

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