Rue 89 07/03/2014
A côté de l’ordinateur de Claire Buzelay, il y a les 06 de tous les membres du conseil. La liste sera bientôt périmée car le maire sortant ne rempile pas. « Je m’adapterai. »
Claire Buzelay, le 27 février 2014 à Verneuil-sur-Indre (Emilie Brouze/Rue89)
Parce qu’il faut « faire la part des choses », Claire Buzelay, secrétaire de mairie, a toujours refusé d’habiter dans le village où elle travaille. Ce qui n’a pas empêché certains administrés de l’appeler ou de sonner chez elle pour obtenir un papier.
Dans un village, un secrétaire de mairie est au service des élus, des services communaux et des habitants. C’est un fonctionnaire multitâche, à la fois chef de chantier, collaborateur, médiateur ou chercheur de solutions.
Il engage des dépenses, gère du personnel, prépare les listes électorales ou le budget : charnière entre les élus, la population et l’administration, un secrétaire de mairie met en œuvre les décisions municipales, sous l’autorité du maire. L’étendue des tâches est grande, surtout en zone rurale.
« C’est un métier peu connu », appuie Claire Buzelay, 55 ans, qui travaille depuis 30 ans à Verneuil-sur-Indre, 546 habitants. La période électorale, pour ces fonctionnaires, est toujours un peu spéciale. D’abord parce qu’il faut organiser les élections, boucler les dossiers ; et si scrutin après scrutin défilent les élus, les secrétaires de mairie, eux, restent en poste.
A côté de l’ordinateur, les 06 du conseil
Dans son petit bureau jaune citron, au 1 place de la mairie, une vieille balance trône sur le comptoir, des Post-it sont éparpillés et un drôle de téléphone nacré clignote. L’édile l’a gagné au dernier congrès des maires.
A côté de l’ordinateur, il y a aussi les 06 de tous les membres du conseil. La liste sera bientôt périmée car le maire sortant, un agriculteur du coin, ne rempile pas. Une liste sans étiquette convoite le prochain mandat.
Les Vernolliens éliront quinze conseillers municipaux, fin mars : la commune a dépassé le seuil des 500 habitants. Cela inquiète un peu Claire Buzelay car la table ovale de la salle du conseil municipal, déjà rallongée il y a quelques années, risque d’être trop petite pour ces sièges en plus.
Le changement de « patron » l’inquiète moins : « Plus jeune, j’étais émotive. Le changement, j’aimais pas trop. Je suis sereine aujourd’hui : je m’adapterai. »
Elle va bientôt connaître le quatrième maire de sa carrière. Il y a trente ans, c’est Georges Bruneau, père du maire sortant et premier magistrat de 1981 à 1989, qui l’avait recrutée sur courrier.
« Il était maire à la place du maire »
Sous l’autorité hiérarchique du maire, la secrétaire de mairie de Verneuil-sur-Indre va fin mars se trouver liée pour six ans à un nouvel élu. Au début, il va sûrement falloir expliquer des choses aux novices. Claire Buzelay se souvient de ce conseiller municipal, une année, qui cherchait le carnet de chèques de la mairie.
Si Claire Buzelay n’a jamais eu de problèmes avec un « patron », la relation dans un couple maire-secrétaire est complexe et parfois ambiguë. Avec les premiers magistrats, « il faut aller à la même allure, être sur la même longueur d’onde » : « Certains tandems fonctionnent mieux que d’autres : chaque élu est différent. On s’adapte à leur personnalité. »
La fonctionnaire doit aussi gagner la confiance des élus. Un secrétaire de mairie embauché par l’ancienne municipalité peut inspirer la méfiance d’une nouvelle équipe. Quand elle a débuté, le 6 juin 1983, il y avait quatre conseillers d’opposition dans le conseil, qui lui ont rendu les débuts difficiles : « Ils exigeaient de contrôler tous les compte-rendus de conseil municipal. »
Il arrive que des élus empiètent sur le travail des secrétaires de mairie : il faut alors repasser derrière et recadrer « en prenant des gants ». A l’inverse, Claire Buzelay laisse son maire actuel signer les documents d’état civil : elle pourrait très bien s’en occuper mais « ça lui fait plaisir, de regarder les noms de famille ».
la conversation, quand elle parle de la vie communale et des réalisations, la secrétaire de mairie dit « on ». Elle se garde pourtant bien, assure-t-elle, de donner son avis sur des décisions (« Sauf si on me demande »). Pas comme son prédécesseur, l’instituteur du village – à l’époque, beaucoup d’enseignants assumaient en plus cette fonction :
« Il était maire à la place du maire. »
On dit d’ailleurs que la paroi est mince entre les deux fonctions et il n’est pas rare que des secrétaires de mairie quittent leur bureau pour briguer une écharpe. Claire Buzelay est passée deux fois de l’autre côté, « pour voir » : elle a été conseillère municipale pendant treize ans dans son village, Betz-le-Château.
Crise de nerfs et demande de divorce
A Verneuil-sur-Indre, les habitants viennent voir « Claire » (« Ici, les gens m’appellent tous par mon prénom ») pour un conseil, de l’écoute ou une interrogation.
« Je suis la roue de secours pour les anciens ; les nouveaux habitants ont moins besoin de moi, sauf pour ce qu’ils ne trouvent pas sur Internet. »
La semaine dernière, une personne âgée est venue demander un dossier d’aide sociale pour obtenir une aide ménagère. Il arrive bien souvent à la secrétaire de mairie d’avoir à répondre à une question qui n’a rien à voir avec ses habilitations. Plus compliqué, « il faut des fois trouver une solution alors qu’il n’y en a guère… » Beaucoup poussent aussi la porte de la mairie pour faire des photocopies.
Derrière son comptoir, la secrétaire de mairie est souvent la première interlocutrice. Elle sert parfois de tampon, quand des administrés pas contents « se jettent sur vous en vous insultant » : « Les gens passent leurs nerfs sur nous et quand ils rencontrent le maire, ils sont tout doux. »
La mairie de Verneuil-sur-Indre (Emilie Brouze/Rue89)
Dans la vie municipale, son rôle est aussi de faire preuve de pédagogie : « Les gens pensaient qu’avec la construction de logements sociaux, on allait avoir des cas sociaux. Il a fallu leur expliquer que ce serait simplement des gens qui n’avaient pas plus de tant de revenus. »
Il y a aussi les visites plus étonnantes : à la Toussaint, un homme faisait des recherches généalogiques au sujet d’un crime survenu dans sa famille. Ou, plus bizarre, une femme « en rogne contre son mari » a débarqué un jour à la mairie pour divorcer.
« Les 35 heures, je ne connais pas »
Claire Buzelay dit qu’elle ne compte pas ses heures : « Les 35 heures, je ne connais pas. »
Chaque commune a ses particularités et à Verneuil-sur-Indre, il y a de quoi faire, entre les deux écoles, la salle communale, la bibliothèque ou les dix-huit logements sociaux. Le boulot de secrétaire de mairie ne se résume pas qu’à la gestion des administrés. « Les gens pensent qu’on attend les clients », balaie-t-elle.
Claire Buzelay est aux premières loges des petits et grands évènements. Comme ce matin de novembre dernier, quand le second adjoint l’a appelée : « Y a un cerf sur le toit de Thérèse ! »
L’animal était coincé sur un garage, se souvient, amusée, la secrétaire de mairie qui a prévenu les journaux locaux. Grâce à une bâche, le cerf a pu s’enfuir par la route, sous les yeux des écoliers. On n’a jamais revu l’animal, qui a fait la couverture du bulletin municipal 2013.
« C’est un métier à risques »
Parce qu’il faut toujours tout vérifier (est-on bien assuré pour ceci ? et cela ?), suivre les nombreux changements de textes, lire attentivement les petites lignes du contrat de maintenance de la photocopieuse ou ne pas louper le contrôle électrique des bâtiments communaux, le métier est bien plus complexe qu’il n’y paraît.
« Le maire me dit souvent “t’es trop administrative”, mais je n’ai pas le choix, il y a des règlements », soulève Claire Buzelay. Pour la secrétaire de mairie, il faut également être très vigilant, à cause des questions juridiques :
« C’est quelque fois un métier à risques. »
Isolés dans les villages, les secrétaires de mairie s’entraident, autour de Verneuil-sur-Indre : « On s’appelle s’il y a un truc bizarre et on se retrouve une fois par an pour manger ensemble. »
e transfert de compétences vers les regroupements de communes n’a pour l’instant pas allégé la masse de travail. La gestion de l’eau, par exemple, est depuis 2012 l’affaire de la communauté de communes mais la secrétaire de mairie s’est vu ajouter le transport scolaire à sa liste de missions. Le métier n’en est pas moins menacé : « L’Etat va supprimer des postes. Avec les communautés de communes, on va vers une mutualisation des services. Il va falloir qu’on évolue. »
Spécialisation
Claire Buzelay est attachée territoriale depuis 2003 et s’est spécialisée dans la prévention des risques. Car le grade de secrétaire de mairie n’existe plus et les fonctionnaires concernés ont pu passer un examen pour obtenir ce cadre d’emploi. « Il ne faut pas rester en bas de l’échelle, si on veut trouver un poste intéressant en communauté de commune. »