Pesticides : l’État noie le poison

Siné Mensuel N°25-  mars 2014 – Geoffrey Livolsi
Les agriculteurs sont les premières victimes de l’exposition prolongée aux pesticides. Les familles tentent  de s’organiser pour lutter contre l’omerta des pouvoirs publics.
L’État est-il entrain d’étouffer un nouveau scandale sanitaire de première ampleur ? En tout cas, il ne facilite pas (c’est le moins qu’on puisse dire !) les démarches des agriculteurs, de plus en plus nombreux à développer des cancers et autres maladies dus à l’utilisation de pesticides. Un empoisonnement chronique depuis les années 1960 et le boum de ces « produits miracles » dans l’agriculture française, déversés par millions de mètres cubes sur nos cultures (100 00 tonnes sont utilisées sur les cultures chaque année). Ce n’était pas bon pour le consommateur, encore moins pour le producteur…
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L’État comme les fabricants de pesticides se sont bien gardés d’avertir les agriculteurs sur les risques sanitaires que présentent leurs produits. Se sont-ils par là rendus coupables d’homicide ? Les familles des victimes le pensent et l’affirment : « Les firmes ne pouvaient pas ne pas être au courant de la dangerosité des produits qu’elles mettaient sur le marché, affirme Paul François, le président de Phyto-victimes, qui regroupe près de 400 agriculteurs. Pour eux, nous sommes des dégâts collatéraux.« 
1 million d’empoisonnés ?
bidon_qui_pisseSi la mutualité sociale agricole commence à prendre conscience de l’ampleur du phénomène, elle freine pourtant des quatre fers la reconnaissance au titre de maladie professionnelle. Entre 2000 et 2010, elle n’a reconnu que cinquante cas de maladies professionnelles dues aux pesticides sur la centaine de dossiers déposés. « La MSA craint de se voir submergée de demandes de pensions et de ne pas arriver à faire face financièrement, confie un médecin de l’organisme public. Étant donné que la population agricole représente près d’un million de personnes, imaginez le nombre d’agriculteurs potentiellement empoisonnés. » Une fois cet obstacle administratif passé, peu d’agriculteurs entament des poursuites au pénal. Un combat de David contre Goliath quand on connaît la puissance des multinationales de la chimie : Monsanto, Bayer, CropScience, ou Sygenta. Surtout que le marché des pesticides en France représente un chiffre d’affaires de 1,9 milliards d’euros. Pour ceux qui s’y risquent, c’est d’abord contre l’État et notamment le ministère de l’Agriculture qu’ils doivent batailler Car la plupart des produits responsables des pathologies développées ont été retirés du marché.
Or, c’est l’État qui organise la collecte de l’ensemble des produits sur le territoire. Sous on contrôle, la société Adivalor récupère les bidons, usagés ou non et toute trace de l’existence du produit. « Chaque mois, des produits sont retirés du jour au lendemain, explique Patrick, viticulteur dans le Bordelais. On nous dit que le produit n’est plus autorisé à la vente et qu’il faut rendre nos stocks, sans plus d’explications. C’est totalement opaque. » Une collecte obligatoire régir par le décret 2002-540 de 18 avril 2002 et l’article l.541-2 du code de l’environnement.
Ainsi, il est interdit et pénalement répréhensible de conserver ne serait-ce que des bidons vides ou des étiquettes des produits retirés du marché. Cette disposition complique un peu plus la recherche de preuves d’empoisonnement pour les victimes, qui doivent alors demander au ministère de l’Agriculture de leur fournir des documents sur la composition chimique des produits retirés. Et la tâche est ardue. Du côté des fabricants, tous les documents sur les produits retirés ont soit miraculeusement disparu, soit sont protégés par le secret commercial, soit ne sont pas archivés.
L’opacité règne
En décembre 2012, Stéphane Le Foll, le ministre de l’Agriculture, s’était engagé à faciliter ces démarches. Une simple demande  écrite à la Direction générale de l’alimentation (DGAL) devait ouvrir l’accès aux dossiers d’autorisation de mise sur le marché et aux étiquettes commerciales des produits incriminés. Plus d’un an après, il n’en est rien. Le ministère n’a, dans aucun cas facilité l’accès aux dossiers. L’avocat des victimes, maître Lafforgue, a du saisir la Commission d’accès aux documents administratifs (Cada) dans plusieurs dossiers. A chaque fois, la Cada a émis un avis favorable à la communication des documents pas le ministère de l’Agriculture. Et dans aucun cas, il ne s’est exécuté. Face au silence de l’administration, l’avocat des familles des victimes vient de déposer une requête devant le tribunal administratif pour « excès de pouvoir » contre le ministère de l’Agriculture. « Je n’ose croire que le ministère ferait de l’obstruction administrative au profit des fabricants« , s’inquiète maître Lafforgue. Pour le président de phyto-victimes, la réponse pourrait se trouver dans la crainte qu’ont les pouvoirs publics de se voir accusés de laxisme pour « avoir fermé les yeux pendant des années sur la dangerosité des produits mis sur le marché. » 100_5970
Les épandeurs ont la banane
C’était devenu l’Arlésienne du ministère de l’Agriculture. Après une consultation, lancée au pas de charge cet été, plus un mot sur la réforme des conditions d’épandage aérien de pesticides. Et puis, fin décembre, quand tout le monde avait le dos tourné, l’arrêté interministériel est tombé, déclenchant colère et incompréhension. « C’est sidérant, s’indigne Nadine Lauverjat de Générations futures, Le Foll n’a pas tenu sa promesse.« 
Exit donc le discours en faveur de l’interdiction définitive Présenté comme un outil de « transition », le texte est en fait une copie tout juste toilettée du cadre existant. Comme dans sa version initiale, et en dépit du principe d’interdiction décidé par l’Europe en 2009, la nouvelle mouture autorise les préfets à signer des dérogations « dès lors qu’il n’existe pas de solution alternative ». En 2012, près de 25 000 hectares ont été ainsi traités par dérogation C’est dire si la brèche est bien exploitée !
Le record revient aux bananeraies arrosées à plus de 80% aux Antilles. Là-bas, sous couvert de lutte contre la cercosporiose, les dérogations valent pour l’année. « Où est l’exception, quand cela dure de janvier à décembre ? » questionne Catherine Grèze, eurodéputée EELV, qui s’apprête à dénoncer cette « mascarade » française à la Commission européenne. « Pathétique », la volte-face du gouvernement est d’autant plus critiquée qu’elle va à l’encontre de la Justice. Sur place, les associations martiniquaises qui contestent la légitimité de ces dérogations permanentes en savent quelque chose. A quatre reprises, le tribunal administratif de Fort-de-France leur a donné raison en invalidant les arrêtés préfectoraux. Dernier revers en date pour l’État le 7 février, avec l’annulation d’un énième dérogation. Mais cette victoire, comme les précédentes, risque d’être de courte durée. Car le préfet ne devrait pas tarder à remettre une nouvelle dérogation en route, laissant ainsi la voie libre aux aéronefs… pour le plus grand bonheur des marchands de bananes et de produits phytosanitaires.

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