Croissance au beurre

Charlie Hebdo le site – 10 mars 2014 – Charb

Ça fait quinze jours que je suis assis sur le banc au pied de l’immeuble et j’attends. J’attends que ce petit vent d’optimisme qui, paraît-il, a soulevé une des mèches décolorées de Hollande me chatouille moi aussi quelque part. Les yeux fermés et le nez en avant, j’attends. Les chiffres de la croissance du PIB sont bons. Au lieu d’être à 0,1% comme l’avait prévu le gouvernement, la croissance est à 0,3%. Vous ne vous souvenez déjà plus? On a appris la nouvelle le jour de la fête des amoureux. Le ministre de l’Économie, Pierre Moscovici, a même dit  «La France est forte, nous avons une économie capable d’aller de l’avant. Si vous extrapolez 0,3% sur 2013, compte tenu du profil de l’année, ça veut dire que si nous faisons 0,2% par trimestre en 2014, nous ferions à la fin de l’année 1%.» Najat Vallaud-Belkacem a déclaré que c’était «de bon augure pour l’année qui vient». Ouah, de bon augure… Ça redonne la pêche, non?

J’aimerais être assez vieux pour éprouver un peu de nostalgie en me souvenant de l’époque où les hommes politiques enflammaient les foules avec des idées plutôt qu’avec des zéros suivis de chiffres forcément minables. Les temps ont changé et les responsables politiques se sont adaptés? Non, les responsables politiques sont des médiocres qui ont adapté le monde à leur insuffisance. Et ceux qui prétendent ne pas avoir les moyens d’agir sur les événements se sont automutilés pour ne pas avoir à le faire. Le renoncement est un vrai courant politique, pas une malédiction qui viendrait du ciel, de la mondialisation ou d’un problème glandulaire.

Il faut être complètement abruti, ou bien socialiste, ou bien les deux (mais ce serait quand même statistiquement étonnant qu’une même personne soit touchée par les deux handicaps) pour croire que psalmodier du 0,3% peut remonter le moral de qui que ce soit.

Va dire que la croissance est de 0,3% au chômeur en fin de droits qui n’a pas de quoi payer les 10 euros d’essence qui lui permettraient de se rendre à cet entretien qui ne débouchera de toute façon pas sur une embauche parce que, passé 50 ans, t’as plus de chances de rencontrer Dieu au fond d’un verre de blanc que de retrouver du boulot.

Va lui causer des 0,3% au salarié qui voit son usine de chaussettes parfaitement rentable saccagée par des actionnaires qui estiment que l’entreprise dirigée par eux n’a pas su prendre le virage de la e-chaussette.

Raconte-lui que le PIB se trémousse sur du 0,3% au petit artisan qui n’arrivera plus jamais à obtenir un prêt auprès d’aucune banque pour acheter trois clous parce que son chiffre d’affaires de l’année dernière est moins bon que son chiffre de l’année d’avant…

À quoi on le doit, ce 0,3%? Surtout à la hausse de la consommation des ménages. Les Français sont des héros. Ils n’ont plus qu’une cartouche dans le fusil, mais ils montent quand même au front de la consommation! À la baïonnette, ils y vont à l’assaut de la superette! C’est peut-être le dernier yaourt qu’ils peuvent acheter, mais ils l’achètent! Parce qu’ils ont faim? Oui, sans doute, mais surtout pour faire grimper le chiffre de la croissance. Celui qui meurt pour la gloire du PIB ne meurt pas tout à fait, son souvenir vivra à jamais dans la piscine d’un actionnaire de Danone qu’il aura contribué à financer.

J’ai fini par m’endormir sur le banc où j’attendais le souffle d’optimisme. Quand je me suis réveillé, j’étais à poil, on m’avait piqué mes fringues.