Russie – Point de vue de Gazeta.ru : Nous sommes dirigés par des missionnaires fanatiques

Courrier International 19/03/2014
Depuis le 18 mars, date de la « réunification » avec la Crimée, la Russie est devenue un autre pays, déplore le quotidien russe Gazeta.ru, qui s’inquiète du changement de ton radical de Vladimir Poutine.
Gazeta.ru

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Des manifestants pro-Kremlin se sont rassemblés sur la Place rouge à Moscou pour fêter l’annexion de la Crimée, le 18 mars 2014. – AFP / Dmitry SEREBRYAKOV
Vers 16 heures, heure de Moscou, le 18 mars, nous nous sommes tous retrouvés dans un nouveau pays. Pas au sens des frontières, encore que du point de vue de la Russie, si, les frontières ont été repoussées pour intégrer de nouveaux territoires. Avec la Crimée, nous nous sommes retrouvés dans une tout autre époque.

Dans la Russie que nous avons laissée en arrière, nous avons accueilli les Jeux olympiques, nous nous préparions à la présidence du prochain sommet du G8 et à l’organisation de la Coupe du monde de football [en 2018]. Dans cette Russie-là, on construisait un centre financier international et Skolkovo [la Silicon Valley russe]. Dans cette Russie-là, l’expression « attirer les investissements » se prononçait avec une connotation positive.

Là-bas, il y avait une « classe créative ». Il y avait des procès contre les opposants et Pussy Riot, il y avait la « loi Dima Iakovlev » [qui interdit aux Américains d’adopter des enfants russes]. On critiquait cette Russie pour son homophobie et sa tendance à enfreindre les droits de l’homme, mais on la respectait pour sa fermeté sur la question syrienne et sa capacité à trouver des accords dans les affaires délicates.

Un pays plus grand, mais plus arbitraire

Cette Russie produisait des Milonov [Vitali, député à l’origine de la loi contre le prosélytisme homosexuel auprès des mineurs] et des Mizoulina [Elena, députée auteure de la loi Dima Iakovlev] pour la consommation intérieure, et une politique nationale d’innovations pour l’exportation.

Dans la Russie d’aujourd’hui, il y a davantage de kilomètres carrés, mais plus aucune garantie, règle et reconnaissance internationale. La Russie d’aujourd’hui n’est plus dirigée par ces patriotes ambivalents, qui essayent d’éviter la rupture totale des relations avec l’Occident et la perte de leur villa à Miami, mais par des missionnaires fanatiques… C’est dans la Russie d’hier qu’on répliquait à la liste Magnitski par la loi Iakovlev (qui inquiétait plus les citoyens russes que les Américains).

Dans la Russie d’aujourd’hui, aux menaces [occidentales] de « gel de vos comptes et vos avoirs », on répond par un bras d’honneur : « Ce n’est pas sans fierté que j’ai lu mon nom sur la liste... », « C’est un oscar politique… », « Enfin la reconnaissance internationale… », autant de petites phrases [prononcées par des députés russes] inimaginables il y encore un an et demi.

C’est hier qu’on pouvait travailler au sein du pouvoir, autour du pouvoir et comme conseillers du pouvoir tout en ayant des opinions légèrement différentes de la ligne officielle. C’est hier qu’on pouvait encore justifier son peu de goût pour les barricades internationales par ses intérêts dans la finance mondiale. Aujourd’hui, si tu n’es pas dans le ton, tu es un agent étranger. Si tu crains pour ta baraque au bord de la Méditerranée, dégage des cercles du pouvoir : cela fait un moment qu’on a mis en garde sur le processus de « nationalisation des élites », celui qui ne s’est pas caché est un voleur.

Les ambitions impériales, le sentiment d’impunité (à en juger d’après la faiblesse des sanctions), d’une part ; le complexe du petit frère (« et pourquoi nous on peut pas alors que les Etats-Unis, eux, ont le droit »), de l’autre. Le tout en lieu et place des institutions, du développement, des accords, de la coopération. La Chine à la place de l’Allemagne. L’Union douanière [qui rassemble la Russie, la Biélorussie et le Kazakhstan] à la place de l’Union européenne.

A en juger d’après l’exaltation des citoyens russes depuis deux jours et la hausse vertigineuse de la cote de popularité de Vladimir Poutine, c’est justement cette Russie-là que la majorité de la population comprend. Et le pouvoir peut l’exploiter de deux façons : bétonner ce sentiment en transformant le patriotisme de la majorité en formalité ou transformer l’exaltation en enthousiasme, en fierté retrouvée, en ressource pour le développement du pays, sans oublier dans la foulée le respect dû à ses citoyens et aux citoyens des autres pays.

A propos kozett

Deux phénomènes peuvent amener à une manipulation dans la prise en compte des informations par notre conscience : --> Le mirage qui voile et cache la vérité derrière les brumes de la sensiblerie et de la réaction émotionnelle. --> L’illusion qui est une interprétation limitée de la vérité cachée par le brouillard des pensées imposées. Celles-ci apparaissent alors comme plus réelles que la vérité qu’elles voilent, et conditionnent la manière dont est abordé la réalité … A notre époque médiatisée à outrance, notre vigilance est particulièrement requise !
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