Le PLUS / Une machine à fabriquer du vote FN – « Des paroles et des actes » : Pujadas et France 2, une télévision de l’exclusion et de la division

Nouvel Obs 28-03-2014 Par Bruno Roger-Petit Chroniqueur politique
 LE PLUS. « La fatigue démocratique ». C’était le thème de l’émission « Des paroles et des actes », diffusée jeudi 27 mars sur France 2. Mais en voulant évoquer le divorce entre les politiques et les Français, France 2 et David Pujadas ont alimenté cette fracture en proposant un débat élitiste, daté et obsolète, selon notre chroniqueur Bruno Roger-Petit. Explications.
En bonne politique, compte tenu du refus de l’UMP de jouer au « Front républicain », le PS devrait cesser de s’accrocher à une pratique obsolète et inutile. Le FN, comme toujours depuis 1983, c’est d’abord et avant tout le problème politique de la droite David Pujadas incarne l’élite de l’époque en ce qu’il ne comprend rien à l’époque. De même que tous les journalistes de « Des paroles et des actes », diffusée sur France 2.
pujadas caricIls sont déconnectés. À commencer par le premier d’entre eux, David Pujadas. Ils sont hors sol. Ailleurs. Figés dans un espace temps antique, coincés dans le Paris des années 1980, semblant déambuler à l’infini sur le boulevard Saint-Germain, un walkman vissé sur les oreilles, écoutant en boucle « Partenaire particulier », avant de s’arrêter au Bizuth pour y prendre un café à 2,50 francs.
La dernière livraison de l’émission de « Des paroles et des actes » en administre la preuve irréfragable. Le sujet de l’émission en était la politique elle-même. Et Pujadas, d’entrée, de camper le décor : « Un climat étrange, un désenchantement, un rejet (…) Les politiques ont-ils failli ? D’où viendra la sursaut ? » Et encore : « On va parler de la fracture démocratique (…) Les politiques sont-il dévalués, impuissants ? »
De l’art du micro-trottoir tautologique
Ces questions se posent, à l’évidence, et compte tenu du résultat du premier tour des élections municipales, le débat s’imposait. Mais Pujadas et DPDA sont passés à côte du sujet, finissant même par faire de l’émission un révélateur de la coupure entre un peuple en colère, lassé et désabusé, et une élite politico-médiatique qui, décidément, ne le comprend plus.
Car Pujadas et France 2 ont traité le sujet avec cette paresse intellectuelle propre aux journalistes de télévision trop pressés. Pour illustrer le divorce Français/politiques, Pujadas avait envoyé Julian Bulgier à Soissons, parce que ville soit disant électoralement représentative de toute la France.
On attendait un reportage en immersion, une plongée dans la vie des électeurs locaux, un aperçu de la vie des autres, des riches, des pauvres, des chômeurs, des jeunes, des retraités, des électeurs FN, PS, UMP… Et on eut droit à un pauvre micro-trottoir réalisé à la sauvette, dans une boulangerie, un bistrot, la rue.
Autrement dit, DPDA s’est bornée à constater les conséquences de la situation, mais en aucun cas les causes qui ont mené à la dite situation : de l’art du micro-trottoir tautologique. On dit que ça va mal, on présente des gens qui disent que ça va mal, mais en vérité, on ne montre rien, on ne démontre rien, on explique rien.
De l’information télévisée prétentieuse, à l’exemple de la conclusion du reportage, prononcée tel Moïse découvrant les Tables de la loi, vérité enfin révélée après des mois d’enquête : « Et si l’emploi était la vraie solution pour lutter contre l’abstention ? » S’il y avait plus de travail en France, cela irait mieux. Quelle découverte ! Trop forts les journalistes de France 2 et DPDA…
Des invités qui sont l’incarnation même de ce divorce
Partie sur une telle base, l’émission ne pouvait que déboucher sur une mise en abyme sidérante à ce niveau supposé requis de journalisme. Le téléspectateur se retrouvant contraint d’assister à un débat sur le divorce Français/politiques qui était lui-même l’incarnation de ce divorce, et non sa discussion.
Coincé dans espace temps 1980, où l’on débattait déjà du divorce entre Français et politiques à « Aujourd’hui madame » ou aux « Dossiers de l’écran », Pujadas avait convié des invités pour évoquer le sujet tout aussi so 80′ que lui :
Roseline_bachelotRoselyne Bachelot, ancienne ministre UMP, responsable du naufrage politique lors de l’épidémie de grippe aviaire qui devait rayer l’espèce humaine de la planète, ex-branchée du RPR durant les 80′, aujourd’hui retirée de la vie politique et désormais chroniqueuse vedette dans une émission de divertissement sur D8, venue là pour dire que, vraiment, c’est grave.
Laurent VaiquierLaurent Wauquiez, député UMP réac’ du Puy-en-Velay, venu là sans cravate parce que ça fait plus cool, comme on disait dans les 80′, et pour expliquer que les chômeurs à 800 euros par mois sont des privilégiés qui découragent les Français de travailler.
Michel Sapin, ministre du Travail plombé par la montée du chômage et la promesse non-tenue d’inverser la courbe, déjà ministre dans les 80′, venu là expliquer qu’il ne faut pas désespérer alors qu’il incarne lui-même la désespérance.
Quelle drôle d’idée d’ailleurs, de la part du gouvernement, que d’envoyer sur le plateau de la seule grande émission politique de l’entre deux tours des municipales, avec révélation de mauvais chiffres du chômage survenue la veille, celui qui incarne l’échec, donc l’anxiété, vanter les vertus de l’espoir et de l’optimisme). Un pugilat politicard sans hauteur ni grandeur
Et face à ces politiques, Pujadas avait également convié trois invités de la sacro-sainte société civile (encore un concept so 80′), trois symboles de ce qu’il est possible de faire de la politique autrement, dans la société.
Alexandre Jardin, écrivain auteur de nanars à succès, phénomène littéraire des 80′, icône littéraire du vivant de Françoise Verny, venu là vendre un bastringue nommé Bleu-Blanc-Zèbre, censé redonner de l’optimisme au pays, le tout avec des propos aussi incohérents que délirants.
Salah Amokrane, du mouvement des Motivés lancé en 2008 à Toulouse, venu là expliquer que les mouvements façon SOS Racisme, donc encore so 80′, ne sont pas morts et qu’après avoir été élu, il voulait faire de la politique autrement.
– Et un sociologue, Jean-Pierre Le Goff, venu là comme égaré à la sortie du plateau de « Ce soir ou jamais » et fustigeant la « langue de caoutchouc des politiques », ces êtres étranges qui viennent d’ailleurs, et qui parlent une langue étrangère aux yeux des Français, trop technocratique. Sempiternelle rengaine, née dans les 80′.
Le débat fut ce qu’il ne pouvait qu’être : Sapin et Wauquiez se renvoyant les chiffres du chômage de leur période ministérielle respective : « Moi j’en ai fait moins que vous », ira jusqu’à dire Michel Sapin, propos énarchique réduisant des vies et des destins broyés à une simple donnée statistique que l’on se jette à la figure dans un débat télé entre gens de l’élite. Dramatique.
Ce fut un pugilat politicard, sans hauteur ni grandeur, démontrant par l’absurde ce qu’il voulait dénoncer : oui, l’élite politico-médiatique est coupée du réel, inconsciente des malheurs et misères françaises.
abruno rogerpetitAu total, cette émission n’aura eu pour résultat que de déverser dans le corps social français un peu plus d’anxiété, un peu plus d’angoisse sans jamais faire œuvre de pédagogie ou d’explication. L’auteur de ces lignes confesse que, confronté à ce spectacle, il a renoncé à suivre l’émission jusqu’au bout, la désertant après une heure de visionnage.
Pujadas est passé à côté du sujet
Comment Pujadas peut-il croire un seul instant que la conception de la politique vantée par Alexandre Jardin (quelle que soit la qualité de ses actions caritatives par ailleurs) soit de nature à servir la cause du débat, à remédier au divorce politiques/Français ?
Comment peut-on vivre, comme Pujadas, en journaliste, avec des capteurs branchés sur la société et le monde aussi datés, des grilles de lecture économique, sociologique et culturelle inadaptées au monde contemporain et des instruments de compréhension de l’univers politique aussi obsolètes que ceux des années 1980 ?
Car il y avait un grand absent sur le plateau de DPDA ce jeudi soir passé : le Front national. Le fait majeur de ce premier tour des élections municipales était comme oublié, nié, à peine cité de temps à autre, comme un épiphénomène. En clair, le fait d’actualité majeur de ces derniers jours fut absent d’un débat d’actualité.
apujadas_webAutant dire que Pujadas et DPDA sont passés à côté du sujet, à côté de leur métier et de sa vocation, ce qui est grave quand on officie sur le service public de la télévision. S’il y avait bien un moment où convier sur un plateau de télévision un représentant du FN (autrement que pour faire du buzz à bon compte) tel Steeve Briois, vainqueur à Hénin-Beaumont, histoire de tenter de comprendre, c’était bien dans cette édition de DPDA.
L’audience de l’émission reflète cette déconnexion du réel, à peine 10% de téléspectateurs, alors qu’en pleine semaine d’entre deux tours, elle aurait dû recueillir une audience bien supérieure.
Une télévision de l’exclusion et de la division
Au bout du compte, Pujadas, DPDA et France 2 ont produit en l’espèce une télévision dépourvue de sens, anxiogène et désespérante. Une télévision de l’élite pour l’élite. Un télévision de l’exclusion et de la division. Une télévision à fabriquer de l’abstention et du vote FN. Et tout cela en prétendant afficher un objectif contraire.
Cette télévision de l’entre soi élitiste, datée et obsolète, ne peut produire que de la colère, de l’amertume et du rejet. C’est avec tristesse que l’on se résout à tirer les conclusions de ce show télé. Avec cette émission, Pujadas et France 2 ont sans doute encore produit du vote FN en vue de dimanche prochain.
Comme quoi, il n’est pas nécessaire d’inviter des représentants du FN à la télé pour provoquer le vote FN.
Édité par Sébastien Billard Auteur parrainé par Benoît Raphaël

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Deux phénomènes peuvent amener à une manipulation dans la prise en compte des informations par notre conscience : --> Le mirage qui voile et cache la vérité derrière les brumes de la sensiblerie et de la réaction émotionnelle. --> L’illusion qui est une interprétation limitée de la vérité cachée par le brouillard des pensées imposées. Celles-ci apparaissent alors comme plus réelles que la vérité qu’elles voilent, et conditionnent la manière dont est abordé la réalité … A notre époque médiatisée à outrance, notre vigilance est particulièrement requise !
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