LE MONDE | 18.04.2014
L’accord diplomatique sur l’Ukraine, une victoire politique pour Poutine
Edito du « Monde ». Jour après jour, sans aucun scrupule mais avec un talent certain, la Russie impose sa politique en Ukraine. Elle le fait avec un mélange de brutalité à la soviétique et de savoir-faire diplomatique. La brutalité, ce fut pour la Crimée, cette péninsule ukrainienne que la Russie a annexée le mois dernier. Le savoir-faire diplomatique, ce fut l’accord conclu, jeudi 17 avril, à Genève.
Certes, tout le monde se félicitera que cette réunion à quatre – Ukraine, Russie, Etats-Unis, Union européenne – marque peut-être le début d’un mouvement de désescalade dans la crise ukrainienne. Ce n’est pas acquis, mais la « déclaration commune » signée par les participants va dans ce sens.
Elle appelle au désarmement des groupes armés illégaux. Elle leur enjoint de quitter les bâtiments officiels qu’ils occupent – notamment dans l’est du pays. Elle mobilise l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe. L’OSCE, qui regroupe la totalité des Etats européens, aidera le gouvernement de Kiev à mettre en oeuvre ces mesures de désescalade.
L’ANNEXION DE LA CRIMÉE EST AVALISÉE
Certes, en apposant sa signature à côté de celle de son homologue ukrainien, Andreï Dechtchitsa, le ministre russe des affaires étrangères, Sergueï Lavrov, fait un geste vis-à-vis de Kiev. C’est, de la part de Moscou, une reconnaissance implicite du gouvernement ukrainien et un pas dans le bon sens.
Mais, sur le fond, le document du Léman marque une victoire du Kremlin. Vladimir Poutine impose sa politique. D’une part, la « déclaration commune » ne mentionne pas la Crimée, comme si son annexion était avalisée. D’autre part, la Russie dicte sa conduite à son voisin.
M. Poutine ne voulait pas d’une Ukraine bénéficiant de sa pleine souveraineté. Il voulait affaiblir le pouvoir central de Kiev. Il entendait choisir le type d’organisation constitutionnelle de l’Ukraine : une fédéralisation poussée qui ramène les régions de l’est et du sud-est, très russophiles, dans le giron de Moscou. Il a réussi, en partie.
UNE LARGE AUTONOMIE POUR LES RÉGIONS DE L’EST
La « déclaration finale » prévoit l’organisation d’un « dialogue national » en Ukraine destiné à garantir les droits des citoyens ukrainiens. Ce joli petit morceau de langue de bois a un sens très clair, une fois traduit en langage courant : une large autonomie pour les régions de l’est.
En s’emparant de la Crimée puis en déstabilisant l’est de l’Ukraine – à coups de mensonges d’Etat et d’infiltration d’unités spéciales des forces russes –, M. Poutine organise la vassalisation de ce pays.
Sans doute a-t-il pu compter sur l’extrême faiblesse du nouveau pouvoir à Kiev, ses erreurs politiques aussi, et enfin la complexité de l’Ukraine. Mais il a dit le fond de sa pensée, jeudi, le jour même de la conférence de Genève.
Lors d’une émission télévisée, M. Poutine a qualifié l’est de l’Ukraine de « nouvelle Russie ». « Kharkiv, Lugansk, Donetsk, Odessa ne faisaient pas partie de l’Ukraine du temps des tsars. Dieu sait pourquoi, elles ont été transférées en 1920 ! », a-t-il lancé. Et de rappeler qu’il se réservait le droit d’y intervenir militairement.
L’un des desseins stratégiques du président Poutine est de recréer une aire de tutelle russe autour de son pays. Ceux qui, comme l’Ukraine, esquissent la prétention d’y échapper doivent savoir qu’ils le paieront cher. Pour l’essentiel, c’est ce que Genève entérine.