Pour rendre la monnaie de sa pièce à l’Europe…

TerraEco magazine – avril 2014 -S.B.
Faudra-t-il s’étonner si le Front national et l’abstention sortent victorieux des élections européennes ? « La montée des extrêmes droites un peu partout en Europe est l’évident symptôme » de la négation de toute « souveraineté populaire » par l’Union européenne (UE), répond Frédéric Lordon. Pour l’économiste et philosophe, l’essor du parti grec néonazi Aube dorée est un « reproche vivant fait à l’Europe libérale, supposément justifiée pour que ‘plus jamais ça !‘ et dont tous les actes concourent inexorablement à faire revenir ‘ça' »…
La charge est virulente contre le couple franco-allemand, dont les élus, socialistes comme de droite, ont fait de l’UE un « laboratoire du néolibéralisme » (spéciale dédicace à Jacques Delors et Pascal Lamy…), où la politique est déconnectée des suffrages et résulte de dispositifs gravés dans le marbre des traités : indépendance de la Banque centrale européenne, seuils absurdes de déficit (3% du PIB) et de dette (60%).
imagesCAAJVFD6Qu’importe si l’austérité génère un taux de chômage dépassant les 25% en Europe du Sud, voire une baisse de l’espérance de vie… Qu’importe si les peuples disent stop (référendum de 2005)… l’Europe s’enferre dans ses carcans – voir le renforcement des sanctions prévu par le pacte budgétaire européen. En cause « l’obsession monétaire » de l’Allemagne, allergique à toute intervention politique pour faire marcher la planche à billets, analyse Frédéric Lordon, esprit brillant peu soupçonnable de germanophobie. On lui doit notamment D’un retournement l’autre (Seuil, 2013), pièce de théâtre en alexandrins, formidable d’humour et de pédagogie, sur la transformation de la crise des subprimes en crise des dettes souveraines. Des évènements dont on paye aujourd’hui la facture : pour sauver les banques, les gouvernements européens ont creusé leurs dettes, de près de 50% en France à plus de 400% en Irlande !
Irréformable Union
« Il faut répéter que nous ne sommes pas comptables [de ce surplus de dettes]. Et que par conséquent, nous ne le paierons pas. » L’économiste évalue toutes les conséquences et les conditions du défaut de paiement, à commencer par la sortie de l’Euro, préalable à une « monnaie commune« , avec ou sans l’Allemagne.
Cette « stratégie du choc » sera d’abord nationale, car l’UE est irréformable, juge l’auteur. Plus souverainiste que ses collègues des « Économistes atterrés », il récuse l’amalgame avec le FN, dont il démonte les entreprises de récupération idéologique. On peut, selon lui, s’opposer à « la mondialisation des conteneurs sans tourner le dos à toutes les autres manières (…) de s’ouvrir au monde« … Lucide et décapant.
lordonFrédéric Lordon est un économiste et philosophe français d’inspiration spinoziste né le 15 janvier 1962. Il est directeur de recherche au CNRS et chercheur au Centre de sociologie européenne (CSE). Il est membre du collectif « Les Économistes atterrés ».
Un livre qui, dans la perspective des élections européennes, sera au cœur du débat.
L’européisme est devenu le pire ennemi de l’Europe. Ne voulant plus que « l’Europe » intransitivement, c’est-à-dire sans le moindre égard pour ses contenus concrets, prêt s’il le faut à martyriser des peuples entiers, en Grèce, au Portugal ou en Espagne, il est devenu une obstination aveugle auquel il est temps de mettre un coup d’arrêt. Au-delà de ses pires désastres économiques, sa tare majeure, et congénitale, est politique : le déni absolu de toute expression des souverainetés populaires.
v_book_85Certains, à gauche, continuent cependant de croire qu’on pourra changer l’euro austéritaire en un euro social. Mais, la crise présente l’a assez démontré, une monnaie unique aimable suppose d’être parachevée par une union politique authentique… que l’européisme présuppose sur le mode de la pure pétition de principe sans jamais vouloir en analyser les exigeantes (et improbables) conditions de possibilité. Aussi bien l’urgence économique et sociale que la disponibilité immédiate des institutions matérielles et symboliques de la souveraineté commandent alors de réexaminer de près l’option des monnaies nationales. Sous deux codicilles cependant : 1) reconstruire les concepts de souveraineté et de nation d’une manière qui les rendent irrécupérables par l’extrême-droite ; 2) réaffirmer que défaire la monnaie européenne, de toute façon aussi mortifère que non-viable, n’exclut nullement de continuer à œuvrer pour l’approfondissement résolu de tous les autres liens entre les peuples européens – et enfin de faire Europe autrement que par l’économie ! –, ni même de penser à refaire un commun monétaire européen, sous la forme non plus d’une monnaie unique mais d’une monnaie commune.
 La Malfaçon : Monnaie européenne et souveraineté démocratique
Date de parution : 26-03-2014 / ISBN : 9791020900937 /14.5*22 cm cm / 304 pages / 20.50 €

A propos werdna01

Hors des paradigmes anciens et obsolètes, libérer la parole à propos de la domination et de l’avidité dans les domaines de la politique, de la religion, de l’économie, de l’éducation et de la guérison, étant donné que tout cela est devenu commercial. Notre idée est que ces domaines manquent de générosité et de collaboration.
Cet article, publié dans Débats Idées Points de vue, Europe, est tagué . Ajoutez ce permalien à vos favoris.