Russie – Vladimir Poutine : La Hongrie, un atout dans son jeu ?

LE MONDE |  20.04.2014 à 15h22 |

La Hongrie, un atout dans le jeu de Vladimir Poutine ?

Moscou passe pour le principal mécène du JOBBIK, le parti d’extrême droite hongrois

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Gabor Vona, le président du parti d’extrême droite hongrois Jobbik, au Parlement, le 14 mai 2010, revêtu du gilet noir de l’uniforme de la Garde hongroise, organisation paramilitaire interdite. | AFP/ATTILA KISBENEDEK
La Hongrie, qui a pris les armes en 1956 contre la tutelle soviétique, est devenue un atout dans le jeu de Vladimir Poutine, bien qu’elle fasse partie de l’Union européenne et de l’OTAN. Ce paradoxe, au moment où l’Europe affronte une crise aiguë avec la Russie, est accentué par les résultats des législatives du 6 avril.
Les gagnants du scrutin, le Fidesz du nationaliste conservateur Viktor Orban (44,5 % des voix) et le Jobbik, le parti d’extrême droite dirigé par Gabor Vona (20,3 %), dénoncent à l’unisson la faillite morale de l’Occident et se retrouvent, à des degrés divers, dans la sphère d’influence de Moscou, fer de lance de « l’union eurasienne ».
Aujourd’hui, le Fidesz n’a pas besoin du Jobbik pour gouverner. Mais la situation pourrait changer en cas d’aggravation des problèmes économiques : la convergence idéologique avec M. Vona, notamment sur l’attitude à adopter envers la Russie, sera alors beaucoup plus puissante qu’avec la gauche libérale, que M. Orban traite en ennemie.
Les liens du Jobbik avec Moscou n’ont cessé de se renforcer, selon l’analyse publiée, sous le titre The Russian Connection, par le Political Capital Institute de Budapest. Moscou passe pour le principal mécène du parti de M. Vona, en vertu de ce que la « doctrine eurasienne » de M. Poutine, exposée en 2011 dans le quotidien russe Izvestia, appelle les « moyens actifs » pour soutenir les partis « amis » dans toute l’Europe.
Dans son programme de 2010, le Jobbik soulignait l’importance des bonnes relations avec « une Russie toujours plus influente ». En mai 2013, lors d’une conférence à l’université Lomonosov de Moscou, M. Vona a présenté la Russie comme la gardienne de l’héritage européen, à la différence de l’UE qui ne ferait que le « trahir ».
En 2013 encore, durant la réunion, à Kaliningrad, du Groupe de travail interparlementaire entre la Russie et l’UE, le député européen du Jobbik, Bela Kovacs, a demandé à un sénateur russe s’il voyait « une possibilité, dans le futur, qu’un pays membre de l’Union européenne puisse débuter des négociations en vue d’adhérer à l’“union eurasienne” ».
Comme nombre de partis d’extrême droite, le Jobbik veut participer au Forum national russe prévu à Saint-Pétersbourg, les 4 et 5 octobre. Les objectifs de cette vaste rencontre (1 500 invités) sont de définir une « nouvelle doctrine nationale pour la Russie et l’Europe » et de créer un « comité de coordination permanente ». En clair, un « Komintern » des nationalistes, de Dunkerque à Vladivostok.
La droite extrémiste hongroise aime M. Poutine – de même que M. Orban admire l’homme fort de la Turquie, Recep Tayyip Erdogan. Elle s’est placée à son côté dans la controverse autour de l’Ukraine, comme elle l’avait fait, en 2008, lors du conflit armé entre la Russie et la Géorgie. L’annexion de la Crimée et la perspective d’une structure fédérale en Ukraine lui permettent de rêver à un sort comparable pour les territoires habités par des minorités magyares, séparés de la Hongrie par le traité de Trianon en 1920 après la première guerre mondiale.
CONTRAT NUCLÉAIRE AVEC MOSCOU
Mais qu’en est-il du Fidesz, qui prône aussi de nouvelles alliances économiques avec l’Asie ? Avant de revenir au pouvoir, en 2010, M. Orban avait vu plusieurs fois M. Poutine. Les débuts furent difficiles : le dirigeant hongrois avait bâti sa légende sur le discours qu’il a prononcé en juin 1989 à Budapest pour exiger le départ des soldats soviétiques. « Puis Poutine a pris conscience qu’Orban pouvait être un allié très utile », affirme Peter Balazs, ancien représentant de la Hongrie à Bruxelles, qui fut ministre des affaires étrangères de 2009 à 2010.
En pleine montée des tensions en Ukraine, à la mi-janvier, M. Orban a signé un contrat de 10 milliards d’euros avec Moscou, pour augmenter la capacité de la centrale nucléaire de Paks. La Hongrie est le second pays de l’UE, après la Finlande, faire appel aux Russes dans le nucléaire civil. Mais, alors que le contrat finlandais a été conclu avec une coopérative des futurs usagers industriels, celui-ci a été passé entre Etats et constitue un véritable cheval de Troie introduit par Moscou dans la forteresse européenne.
La surprise vient de la précipitation de M. Orban, qui avait assuré qu’aucune décision ne serait prise avant les législatives. Le Jobbik a été seul à l’applaudir, et les détails ont été tenus secrets, jusqu’à ce que Moscou les publie, le 15 mars : les contribuables hongrois ont alors appris que les pénalités, en cas de retard dans le remboursement du crédit, seraient de 50 %. Aujourd’hui encore, les raisons de ce choix stratégique sont mystérieuses. S’agissait-il d’amadouer Moscou en vue d’obtenir de meilleurs tarifs pour le gaz russe ?
M. Balazs, qui négocia jadis l’adhésion de la Hongrie à l’UE, voit des motifs plus terre à terre : « La technologie nucléaire sera fournie par les Russes. Aux Hongrois, il restera le béton. Mais des quantités phénoménales de béton. » Or le roi du béton, en Hongrie, Lajos Simicska, patron de l’entreprise Közgep, est un ami de longue date de M. Orban.
Si cette hypothèse est la bonne, elle jette une lumière sinistre : car le plus inquiétant, souligne un diplomate européen en poste à Budapest, est moins la percée électorale du Jobbik que « l’émergence, au sein de l’UE, d’un système oligarchique » semi-autoritaire – sur le modèle de la Russie de Vladimir Poutine.
stolz@lemonde.fr Joëlle Stolz (Vienne, correspondante) Journaliste au Monde

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Deux phénomènes peuvent amener à une manipulation dans la prise en compte des informations par notre conscience : --> Le mirage qui voile et cache la vérité derrière les brumes de la sensiblerie et de la réaction émotionnelle. --> L’illusion qui est une interprétation limitée de la vérité cachée par le brouillard des pensées imposées. Celles-ci apparaissent alors comme plus réelles que la vérité qu’elles voilent, et conditionnent la manière dont est abordé la réalité … A notre époque médiatisée à outrance, notre vigilance est particulièrement requise !
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