LE MONDE | 24.04.2014

Madame Taubira, il faut passer aux actes : pour un contrôle des écoutes téléphoniques
Il faut saluer le maintien, à la tête de la chancellerie, de Christiane Taubira, qui incarne nos valeurs républicaines. Car si la société française avance face à son histoire, c’est grâce à certaines figures qui en conduisent les pas : naguère, pour le droit à l’avortement ou l’abolition de la peine de mort, hier pour la reconnaissance de l’esclavage comme crime contre l’humanité, aujourd’hui avec le mariage pour tous.
Les avocats étant sensibles à la prise de parole en public, Christiane Taubira a su impressionner par son talent oratoire. Cet exercice n’est jamais facile pour un ministre de la justice. A l’Assemblée comme au Palais, la garde des sceaux s’est toujours présentée sans notes, habitée par une conviction faite d’empathie avec la salle et de distance que seule l’autorité permet.
On n’oubliera jamais certaines de ses envolées, face à des députés furieux sur le projet de loi qui avait fait descendre une partie de la France dans la rue, ni son discours dans la bibliothèque des avocats pour répondre à notre hommage au « post-féminisme », le 7 mars. Chaque fois, pour finir, Christiane Taubira cite Césaire ou René Char. Depuis Pompidou, personne n’avait osé placer dans le discours politique… des vers. Mais il faut passer de la poésie et des grands principes aux textes de procédure.
Trois réformes s’avèrent nécessaires.
Il faut tout d’abord une loi sur les écoutes et le secret. Non ! Les écoutes téléphoniques, les interceptions de courriers électroniques, la géolocalisation, etc., ne peuvent être une réponse à la crise politique et judiciaire ! Non ! La « transparence », qui ne figurait ni dans le Décalogue, ni dans la philosophie d’Emmanuel Kant, n’est pas la solution ! Non ! Les 600 000 interceptions de sécurité qui sont pratiquées chaque année en France, de même que la participation active des grands opérateurs à cette entreprise, ne peuvent s’exercer en dehors d’un cadre judiciaire très exigeant pour la défense des libertés publiques.
Les écoutes doivent donner lieu à un contrôle de proportionnalité par un organe indépendant, comme l’exige la jurisprudence européenne et comme l’a rappelé, le 4 avril, le Conseil constitutionnel. Cette mission doit relever du juge des libertés et de la détention (JLD), du président du tribunal de grande instance ou d’une haute autorité. Ces écoutes ne doivent pouvoir être ordonnées que pour une durée limitée par un texte afin d’éviter la pratique, trop courante, des « filets dérivants » qui permet d’attendre, parfois plusieurs mois, qu’une éventuelle infraction soit constatée. C’est ce que nous avons demandé au président de la République lorsqu’il nous a reçus le 20 mars et c’est ce que nous demandons maintenant à Christiane Taubira. Nous recevant le 23 avril, elle nous a confirmé son accord de principe et la constitution d’un groupe de travail à ce sujet.
POUR UNE RÉFORME DE L’INSTRUCTION ET DU PARQUET
Ensuite, une réforme de l’instruction et du parquet. Pour ce qui concerne, plus généralement, la procédure pénale, les principaux pays européens de tradition romano-germanique ont instauré des mécanismes respectueux des principes de l’égalité des armes entre la défense et l’accusation sans pour autant bloquer l’institution judiciaire. Il est en ainsi pour l’Italie, l’Allemagne ou l’Autriche. La France doit s’inscrire dans ce mouvement. S’il n’est pas satisfaisant de constater que nous sommes en retard par rapport aux grandes démocraties voisines, il n’est pas trop tard ! D’autant que ce glissement doit se faire autour d’un centre de gravité qui ne serait ni le magistrat instructeur ni le ministère public, mais le juge des libertés et de la détention.
En d’autres termes, le nouveau parquet ferait face aux avocats dans le cadre d’un débat accusatoire arbitré par un nouveau juge que sera ce JLD doté de nouvelles prérogatives. Pour les procédures d’enquêtes préliminaires, le JLD serait, non pas l’arbitre entre les avocats et le ministère public, mais le contrôleur du parquet pour le respect des libertés publiques. Cette réforme simple et tant attendue sera la clef du succès du ministère Taubira
Enfin, concernant le carcéral : il faut sortir du modèle monolithique de réponse à la délinquance par notre « prison républicaine ». Car depuis le XIIe siècle, nous n’avons pas beaucoup évolué ! Derrière les murs de Clairvaux, on enferme encore les hommes comme ils s’y enfermaient jadis dans la crainte de Dieu. Les enceintes de Vauban et, plus tard, des Baumettes, de Fresnes ou de la Santé demeurent l’exemple du « tout carcéral » dans lequel nous restons culturellement enfermés, même si, évidemment, le châtiment corporel, dont la peine de mort était le paroxysme, a été aboli.
L’enjeu pour notre société est désormais de choisir entre une politique à l’américaine, avec ses emprisonnements à outrance, et une politique inspirée des pays d’Europe du Nord, consistant à traiter chacun en vue de sa réinsertion sociale. Ainsi doit-il en être pour les malades mentaux ou les délinquants sexuels qui doivent être placés dans des institutions destinées à soigner, tandis que les délinquants condamnés à de petites peines doivent être pris en charge dans un cadre qui permette de suivre et de tracer leur parcours, ce que le projet de peine de probation, proposé par la chancellerie, ne permettra pas, faute de moyens.
Ce que nous voulons, c’est une justice moderne et efficace, respectueuse des droits de la défense et du secret, qui ne soit plus en queue de peloton de l’Europe. Les pouvoirs publics et les entreprises pourront compter sur le barreau de Paris, véhicule d’une justice moderne, pour relever le défi international de la globalisation et de la place de la France dans le monde.
Pour cette grande réforme, qui va bien au-delà du pénal, nous nous inquiétons des termes réducteurs et erronés en droit qui ont été prononcés par le premier ministre dans son discours de politique générale : « Je pense à la réforme pénale, dont le but, je le rappelle, est de lutter contre la récidive. » Le but de la réforme pénale est, au contraire, celui de l’équilibre entre les droits de chacun dans le respect des grands principes qui gouvernent la République. Nous y veillerons.
Pierre-Olivier Sur (Bâtonnier du barreau de Paris)
Laurent Martinet (Vice-bâtonnier du barreau de Paris)