Corée – Naufrage ferry : « Nous devrions baptiser le 16 avril “jour de l’infamie” et renouveler notre engagement à ne pas léguer aux générations futures un pays aussi honteux »

LE MONDE | 25.04.2014

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Le naufrage du « Sewol », révélateur des excès de la Corée

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Les Coréens pleureront longtemps les noyés du Sewol. Le naufrage survenu le 16 avril à quelques encablures de la côte sud-est de la péninsule n’est pas seulement celui d’un ferry de 6 825 tonnes ou des compétences d’un capitaine, de son équipage et de son armateur. Il est celui d’une administration négligente et d’un gouvernement qui avait fait de la protection des citoyens une priorité de son action.

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La présidente, Park Geun-hye, a bien tenté de prendre ses distances en appelant à la fermeté face au comportement « meurtrier » de l’équipage et aux égarements des fonctionnaires. Elle aura de la peine à échapper aux critiques formulées contre son administration.

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Car les reproches sont nombreux. Les premiers corps récupérés ne l’ont pas été par des gardes-côtes ou des marins, mais par des plongeurs volontaires. Le centre national de gestion des crises basé à Séoul a dû s’en remettre à la télévision pour suivre les progrès des secours. L’armée n’a pu utiliser le Tongyeong, premier navire sud-coréen de sauvetage en mer, terminé en 2012 et ayant coûté 159 milliards de wons (110 millions d’euros). Les différents services impliqués n’ont jamais su se coordonner ni répondre efficacement à l’urgence de la situation.
Ajoutées aux dizaines de disparus – pour la plupart des lycéens de 17 ans –, ces défaillances sont un véritable traumatisme. Certes, comme souvent en Corée, la population a fait preuve d’un bel élan de générosité et de solidarité. Des milliers de volontaires se sont précipités vers Jindo pour aider les familles de victimes. Quelque 590 000 colis ont afflué de tout le pays.
Certains s’interrogent néanmoins sur des aspects importants de la société coréenne, comme le respect obsessionnel de la hiérarchie. Ainsi Jasper Kim, dirigeant de l’institut de recherche Asia-Pacific Global de Séoul, estime que la société reste « proche de celle de la dynastie Choson [1392-1910]». L’obéissance liée à la tradition confucéenne reste très ancrée et, de fait, a contribué au développement rapide du pays.
Dans le cas du Sewol, ceux qui n’ont pas suivi les instructions ont survécu. Ceux qui ont obéi, en l’occurrence les lycéens restés sagement dans leurs cabines, ont disparu. « Dans les pays développés, la règle de base en situation d’urgence est de suivre les instructions données par des responsables, note Lee Won-ho, professeur d’ingénierie de l’université Kwangwoon. Mais pour que cela fonctionne, ajoute-t-il, il faut des règles claires et des responsables correctement formés pour prendre la bonne décision. »
Manifestement, cela n’a pas été le cas le 16 avril. Et cela a suscité une interrogation plus large sur le fonctionnement du pays et de son économie. Fondé sur la vitesse et obsédé par la compétitivité, il apparaît aujourd’hui inabouti et peut sembler, dans une certaine mesure, négliger les vies humaines.
AUCUNE SANCTION SÉRIEUSE
acorée1584584Pendant sa campagne présidentielle de 2012, Park Geun-hye avait promis de faire de la sécurité des citoyens une priorité. Plus d’un an après son entrée en fonctions, peu de choses ont changé. Une nouvelle structure a été mise en place, en février, sous la responsabilité du ministre de la sécurité et de l’administration publique, Kang Byung-kyu. Or M. Kang n’est pas considéré comme un expert de ces questions. Sur le plan légal, des règles existent qui encadrent la sécurité sur les bateaux, mais aucune sanction sérieuse n’est prévue en cas de manquement.
L’équipage du Sewol et son attitude illustrent ces limites. Le capitaine était sous contrat précaire, tout comme une dizaine de marins. L’équipage n’avait effectué aucun exercice de sécurité. L’armateur Chinghaejin Marine aurait fait pression pour aller toujours plus vite. « Les administrations Lee Myung-bak et Park Geun-hye considèrent la régulation de manière simpliste. Les règles, c’est mal ; la dérégulation, c’est bien », juge le quotidien de gauche Kyunghyang. Et le journal de dénoncer une société où « les emplois à responsabilités importantes sont confiés à des travailleurs précaires ».
En 2003, de graves erreurs de communication avaient conduit à la mort de 193 personnes dans le métro de Daegu (centre du pays). En 1995, le grand magasin Sampoong de Séoul, mal conçu, s’était effondré, faisant plus de 500 morts. En 1993, le naufrage d’un ferry avait – déjà – fait 293 morts. La Corée du Sud figure aujourd’hui en tête du classement des pays de l’OCDE en termes de décès par accident.
Le naufrage du Sewol s’ajoute à cette liste déjà trop longue, comme si les victimes des drames d’hier étaient mortes pour rien. « Ces terribles tragédies continuent d’arriver car la société coréenne s’est uniquement focalisée sur le développement rapide, considérant les règles de sécurité comme des entraves », observait un éditorial du quotidien conservateur Chosun Ilbo.
« Nous devrions baptiser le 16 avril “jour de l’infamie” et renouveler notre engagement à ne pas léguer aux générations futures un pays aussi honteux », a commenté le très conservateur quotidien Dong A. Et le Hankyoreh, pourtant d’un bord opposé, de renchérir : « Dans quel pays vivons-nous ? »
Preuve que le naufrage du Sewol n’a pas fait que des centaines de morts et des milliers de malheureux : il a exposé le pays à ses propres excès.
pmesmer@hotmail.com
Philippe Mesmer (Tokyo, correspondance)

 

A propos kozett

Deux phénomènes peuvent amener à une manipulation dans la prise en compte des informations par notre conscience : --> Le mirage qui voile et cache la vérité derrière les brumes de la sensiblerie et de la réaction émotionnelle. --> L’illusion qui est une interprétation limitée de la vérité cachée par le brouillard des pensées imposées. Celles-ci apparaissent alors comme plus réelles que la vérité qu’elles voilent, et conditionnent la manière dont est abordé la réalité … A notre époque médiatisée à outrance, notre vigilance est particulièrement requise !
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