« Le Capital au 21ème siècle » de Thomas Piketty fait le buzz outre-atlantique

Bakchich 07/05/2014 – Woodward et Newton
Il aura fallu 6 mois au bouquin de Thomas Piketty pour traverser l’atlantique.  Depuis, le buzz prend de l’ampleur…
9782021082289
976 pages – 25.00 € TTC
« Le Capital au 21ème siècle » paru en septembre 2013, fait un tabac aux States depuis que les confrères de l’auteur, Paul Krugman et Joseph Stiglitz s’en sont entichés. Il faut dire que l’ouvrage, un livre d’Histoire comme le définit son auteur Thomas Piketty, est de circonstance : il nourrit opportunément le débat qui fait rage aux USA et prend timidement de l’ampleur dans le reste du monde, sur la dynamique de l’inégalité.  3 siècles et 20 pays passés à la moulinette. Une montagne de données historiques qui pourraient bien donner un coup de jeune aux « ultragauches » occidentales qui s’époumonaient en pure perte depuis une quarantaine d’années, à revisiter, souvent sans le savoir, les élucubrations de Karl Marx sur l’aliénation de ce qu’il reste de travailleurs, l’accumulation du capital par capitalisation de la plus-value âprement disputée, et sur la baisse tendancielle du taux de profit relatif qui en résulte…
Degré d’inégalité record
Piketty, promu au rang d’économiste Rock Star outre-Atlantique, n’est pas le premier à avoir abordé le délicat sujet de la contradiction fondamentale du capitalisme dissimulée derrière le rapport incestueux entre la croissance économique et le rendement du capital. Il le fait en revanche avec un talent indiscutable de vulgarisateur. D’autant qu’à ses yeux et avec un recul historique qui renforce la puissance de sa démonstration, le degré d’inégalité atteint par le capitalisme contemporain est, si l’on peut dire, inégalé. Mieux – ou pire – il pourrait encore se creuser selon l’auteur.
L’explication qu’il donne du déséquilibre sans cesse croissant entre tous les « autres » et le « 1% » dénoncés avec un enthousiasme hélas insuffisamment communicatif par le mouvement « Occupy… » est limpide : on assiste à une dynamique inégalitaire fondamentale pour la simple raison que le rendement du capital pris dans son acception la plus large tels les terres cultivables, les matières premières stratégiques, les actifs fonciers, immobiliers et mobiliers divers, est, et demeurera tout au long du 21ème siècle, très largement supérieur au taux de croissance de l’économie en général, mesuré au moyen du PIB. En d’autres termes, la richesse des « capitalistes » croît sans commune mesure avec celle des « travailleurs » qui stagne, peut être hélas de manière systémique et non conjoncturelle.
piketty
L’écart – mondial – entre le rendement du capital et le taux de croissance de l’économie qui atteignait près de 3,5% pendant la plus grande partie du 19ème siècle, s’est fortement réduit pendant la seconde partie du 20ème siècle (il était de l’ordre de 1,5% en moyenne de 1950 à 2012) et pourrait de nouveau s’accroitre selon l’auteur, au cours du 21ème siècle.
L’inégalité de patrimoine, trouve évidemment son pendant dans celle de revenu. Là encore Piketty se montre d’une efficacité implacable dans sa démonstration : jusqu’à la première guerre mondiale, l’inégalité du revenu était supérieure en Europe à celle observé aux USA. Le mouvement s’est inversé ensuite. Toutefois, l’écart de cesse de se creuser depuis 1960. A l’époque, les 10% d’américains les plus riches possédaient environ 34% du revenu total contre 32% pour les européens. 50 ans plus tard, les « 10% » américains s’approprient 48% du revenu total contre « seulement » 35% pour les européens.
Là où les collègues et « parrains » américains de Piketty se montrent plus sévères envers lui, à juste raison d’ailleurs bien que l’objectif de l’économiste français soit ailleurs, c’est sur la responsabilité de l’état dans ce phénomène inégalitaire. L’état moderne, fut-il présumé providentiel, a en effet lamentablement échoué dans sa mission de réduction des inégalités. Pire, il semble qu’il ait largement contribué à les creuser.
La faillite de l’État protecteur
CapitalComment ne pas dénoncer en effet les effets pervers et éventuellement contreproductifs d’un point de vue macroéconomique, des mesures pudiquement qualifiées de « quantitative easing » autrement dit d’impression massive de monnaie « quasi gratuite » à destination prioritaire des « riches », dans le creusement radical des inégalités ? Leurs principaux bénéficiaires – banquiers, propriétaires de portefeuilles conséquents de valeurs mobilières – ne font plus mystère des « rentes de situation » que leurs ont prodiguées « leurs » représentants placés par eux aux postes-clefs de l’Exécutif au travers de ce qu’un nombre croissant d’économistes qualifient sans fausse pudeur de « réallocation de richesse ». Au point d’ailleurs que le revenu perçu par les travailleurs des secteurs financier et non-financier qui était quasiment identique depuis 1947 jusqu’au début des années 80, s’est brutalement distingué à partir de 1982 en faveur des premiers, l’écart atteignant plus de 40 000 dollars en 2012.
Lire: Le jackpot de l’économie criminelle, l’intégrale
Cambriolage des peuples
Ainsi dès 2008, Luc Laeven et Fabian Valencia du FMI (« Systemic banking crises : a new data base ») ne s’encombraient pas de circonlocutions diplomatiques lorsqu’ils constataient à partir d’une étude de 124 cas de crises et de sauvetages bancaires que  « ….de telles réallocations de richesse peuvent contribuer à un redémarrage de l’investissement productif mais elles ont des coûts élevés. Ils incluent notamment la richesse des contribuables consacrée à une assistance financière mais aussi les coûts indirects que représentent les allocations inappropriées de capital et les distorsions pouvant résulter d’un encouragement des banques et des entreprises secourues à abuser des protections gouvernementales. Des distorsions susceptibles d’aggraver les allocations de ressources inappropriées et la gestion des risques après que les crises aient été résolues… ».
Lire: L’Europe aussi soutient ses banksters
Un phénomène d’escamotage des actifs toxiques bancaires qualifié un an plus tard (2009) par Joseph Stiglitz de « cambriolage du peuple américain » Bref, les amis américains de Piketty paraissent lui reprocher gentiment, alors qu’il a fait œuvre d’historien, de ne pas avoir sous-titré son remarquable ouvrage, comme l’avait observé Balzac avant lui dans son Père Goriot, que derrière chaque grande fortune, il y a (souvent) un grand crime, fut-il d’Etat.
220px-Piketty_in_Cambridge_3_cropThomas Piketty (né le 7 mai 1971 à Clichy) est un économiste français. Ancien élève de l’École normale supérieure et docteur en économie, il est spécialiste de l’étude des inégalités économiques, en particulier dans une perspective historique et comparative. Il a reçu en 2002 le Prix du meilleur jeune économiste de France et en 2013 le Prix Yrjö Jahnsson.

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