Histoires d’Urgences : La corruption moderne va bien

Charlie Hebdo – 27 mai 2014 – Patrick Pelloux, urgentiste
La presse en a parlé, le 8 mai dernier, un émir ou un prince, ou un riche personnage, donc un puissant de ce monde, s’est fait soigner à l’hôpital Ambroise-Paré, de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris. Pour cela, il a exigé de prendre 9 chambres du septième étage, et les a fait réaménager. Combien a-t-il payé, combien les 1145s_20médecins ont-ils reçu d’honoraires, en consultation privée ou pas? Nul ne sait. Soi-disant que cette privatisation a été organisée parce qu’il «y a une baisse d’activité lors du pont du 8 mai». Mais il est resté jusqu’au 14 mai! Ce n’est plus un pont, mais un viaduc! Et, surtout, l’activité ne baisse pas! Les pouvoirs sanitaires connaissent l’embouteillage aux urgences lors de ces ponts, et à Ambroise-Paré comme ailleurs, l’activité augmente, car des structures de soins ferment et on manque de lits.
Deuxième argument: les riches rapporteraient de l’argent. Ce n’est rien d’autre que l’application de cette saloperie de loi Bachelot: la possibilité de soigner des malades riches en France. Il y a quelques mois, la polémique avait même été lancée avec des «recruteurs internationaux» payés par l’AP-HP. Mais le paradoxe se situe dans le fait que les pauvres, les migrants, les sans-papiers qui bénéficient de l’aide médicale d’État sont régulièrement montrés du doigt par les économistes car ils coûteraient cher alors que, en les soignant, nous évitons que leur tuberculose (par exemple) se répande. Mais les riches sont salués de la tête par ces mêmes économistes! Sachez que ces milliardaires se barrent souvent en n’ayant payé que le professeur en honoraires libres, mais… pas l’hôpital ! D’où des millions d’impayés que les pouvoirs publics sont incapables de récupérer.
ARGENT PARTOUT, SOCIAL NULLE PART
930936-1103885Par ailleurs, ce n’est ni plus ni moins que la version moderne des services privés, comme dans les années 1960 à 1980, où les grands mandarins avaient leurs lits privés, payés aux frais du contribuable, mais dont tous les bénéfices étaient pour le professeur. Tout le personnel en profitait plus ou moins, rendant des services aux puissants et aux riches, faisant les gardes-malades à leur chevet, apportant les journaux, les petites choses comme du bon café… C’était l’époque de 7 Morts sur ordonnance, le film de Jacques Rouffio, tellement réaliste. Jack Ralite, alors ministre de la Santé de Mitterrand, avait voulu la suppression de ces lits privés et des activités privées dans les hôpitaux en 1984. Il n’a pas réussi, car le mastodonte, le Goliath du lobby médical, avait monté une énorme grève. Depuis, le problème du privé et des dépassements d’honoraires à l’hôpital n’est toujours pas résolu. Véritable corruption moderne qui engendre une perte de soins pour ceux qui ne peuvent payer.
L’argument qui est de dire que nous allons aller chercher les riches pour les soigner et gagner de l’argent est certes séduisant, mais le problème est de ne pas oublier la vieille sur son brancard aux urgences, pour laquelle il n’y a pas de lit car l’émir loge sa suite, ni le jeune et sa fracture ouverte sur le bord du périphérique et qu’aucun orthopédiste des Hôpitaux de Paris n’accepte faute de place, ni le SDF dont le sang est du vin rouge et qui ne peut être hospitalisé et qui retourne, finalement, sur son trottoir….
Ce système ferait rentrer des sous pour combler le déficit de l’AP-HP ! Certes, mais sachez que les comptes de l’activité privée des médecins de l’AP-HP augmente d’année en année. À tel point qu’un nouveau professeur très connu a de nouveau été suspendu… Ce système ne fonctionne pas, car les pays ne payent pas les millions qu’ils doivent à la France lorsqu’on soigne leurs riches malades. Personne ne demande au corps diplomatique de payer, par exemple, le Val-de-Grâce lorsque des présidents étrangers arrivent là-bas… C’est une sorte de passe-droit diplomatique à plusieurs millions d’euros!
Patrick Pelloux, article paru dans Charlie Hebdo n°1143 du 14 mai

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