Grand Marché Transatlantique : le retour du vampire

Article paru dans Charlie Hebdo n°1145 du 28 mai 2014 – Bernard Maris
L’AMI, que le mouvement altermondialiste avait joyeusement tué et enterré en 1998, renaît sous le nom de «traité transatlantique».
Comment trouver 50 milliards?Quel bon souvenir! Le Diplo, Charlie, Attac, les altermondialistes hurlant contre l’accord multilatéral d’investissement (AMI), qui finalement n’a pas été signé. Je me souviens d’un débat avec le représentant de l’OCDE qui négociait l’AMI: «Qui êtes-vous pour oser parler au nom des citoyens?» lui avais-je dit. Euh… euh… Rien. Un bureaucrate au service des multinationales et de l’idéologie libérale. Je me souviens de DSK, essayant de défendre piteusement l’AMI à l’Assemblée…
Cette fois, c’est la Commission européenne qui négocie avec le ministère du Commerce américain. Six cents Sapin appelle a régulariser les avoirs dissimulésnégociateurs de chaque côté, des avocats d’affaires essentiellement. La Commission a été mandatée par le gouvernement Hollande au Conseil de l’Europe du 18 octobre 2012. On pourra pas chanter «c’est la faute à Bruxelles!». Bien entendu, tout se déroule dans le secret le plus absolu. Or, les enjeux sont terribles.
1) Il n’y a plus de barrières douanières entre les États-Unis et l’Europe (entre 2 et 5% de droits de douane, peanuts.) C’est donc sur les normes que se joue le combat. Trois types de normes ennuient les Banquiers suisses guidant un ministre françaismultinationales : les normes sociales (le Smic, par exemple), les normes sanitaires (les poulets lavés au chlore) et les normes environ-ementales. Les multinationales pourront faire des procès aux États, Régions, municipalités, sur tout ce qui «gêne» l’exploitation et le commerce. Par exemple, Philip Morris fait un procès à l’Australie en ce moment à propos d’une campagne anti-tabac ; de même, le cigarettier fait un procès à l’Égypte, qui voulait interdire les cigarettes à goût de bonbon… Vattenfall, l’EDF suédois, fait un procès à l’Allemagne parce qu’elle vient de sortir du nucléaire…
2) Jusqu’ici, l’OMC arbitrait ce genre de procès (et condamnait évidemment les États). Mais désormais, il y aura de simples «arbitrages d’investissement», des tribunaux ad hoc, des arbitres (un pour la multinationale, un pour l’État, un choisi par les deux) pour juger plus rapidement la chose. C’est un scandale absolu de mettre sur le même plan un État et une multinationale. Bien entendu, les États et les municipalités seront tentés de transiger, car les procès coûtent très cher, et les avocats d’affaires des boîtes sont particulièrement puissants dans un droit qui sera le droit anglo-saxon. De fait, les multinationales seront juges et parties. 
On dira que l’Europe a sauvé l’exception culturelle (l’audiovisuel, le livre, la culture n’entrent pas dans la négociation), mais bien entendu l’Europe va se faire enfoncer pour tout ce qui touche Internet, largement dominé par les États-Unis. Tout ce qui touche le numérique, le secret des données, la protection des données des citoyens, la défense des brevets, sera balayé par les majors américaines.
De leur côté, les multinationales européennes ont envie d’envahir les marchés publics américains — relativement protégés au profit des entreprises américaines grâce au Buy American Act de 1933 —, notamment dans le domaine de l’eau et des déchets. Les banques européennes, la Deutsche Bank en tête, voudraient bien voir abrogé de nouveau le peu de régulation créé par le Dodd-Frank Act. Les multinationales américaines, elles, sont vent debout contre tout projet de taxe de type Tobin contre la spéculation. Est-ce que le fait que les majors d’Internet (Yahoo, Google…) ne paient scandaleusement aucun impôt est sur la table ? Non. Encore une fois, sous le prétexte du «commerce bon pour l’humanité», on marche vers une régression sociale, environnementale et sanitaire. Ne parlons pas de l’exploitation des gaz de schiste, même notre ministre de l’Environnement lui est favorable…

A propos werdna01

Hors des paradigmes anciens et obsolètes, libérer la parole à propos de la domination et de l’avidité dans les domaines de la politique, de la religion, de l’économie, de l’éducation et de la guérison, étant donné que tout cela est devenu commercial. Notre idée est que ces domaines manquent de générosité et de collaboration.
Cet article, publié dans Agroalimentaire, Europe, International, est tagué , , . Ajoutez ce permalien à vos favoris.