France – Les régions : Une réforme historique par Emmanuel Le Roy Ladurie

Emmanuel Le Roy Ladurie est l’auteur d’Histoire de France des régions : la périphérie française, des origines à nos jours,  Seuil, 2005.

De nouvelles identités régionales ?

| Le Monde 04.07.2014
Le Sénat examine, jusqu’au 5 juillet, le projet de réforme territoriale du gouvernement, qui prévoit de passer de 22 régions à 14 en France métropolitaine. Une priorité pour François Hollande, qui suscite l’opposition de nombreux élus et de citoyens attachés à leurs appartenances régionales. Ces nouvelles collectivités peuvent-elles fédérer leurs habitants? Sont-elles pertinentes? Et qu’est-ce que l’identité régionale à l’heure de la mobilité géographique et de la sociabilité numérique? Historiens et écrivains répondent.

Une réforme historique, par Emmanuel Le Roy Ladurie

Le Monde 04/07/2014
La nouvelle donne géographique et régionale est intéressante pour l’historien des langues latines, germaniques, celtiques, basque et autres. Elles ont précédé la domination du français et elles conservent encore de beaux restes en Bretagne, Alsace, Pyrénées-Orientales, etc. De ce point de vue, l’initiative « hollandiste », presque partout critiquée, respecte certaines données sémantiques, voire religieuses, qui coexistèrent avec la cristallisation monarchique jusqu’à la Révolution française et au-delà.
On distingue d’abord dans cette géographie new-look, une très belle Occitanie : elle inclut les anciennes régions de Midi-Pyrénées et de Languedoc-Roussillon, de Toulouse à Montpellier. La région PACA (Provence, Alpes du Sud, Côte d’Azur) est toujours en place, incarnant le provençalisme qui fut initié, entre autres, par nos anciens troubadours. L’Aquitaine est occitane, elle aussi, en son style propre, même si le premier des grands écrivains français en langue nationale, Montaigne, était originellement bordelais, donc, aquitain lui aussi… et latiniste.
La région Rhône-Alpes est dorénavant mariée avec l’Auvergne. Cela peut choquer mais les historiens savent que les dialectes franco-provencaux typiques de la « Rhodanie », des Alpes du Nord, de la Suisse romande et du Dauphiné, ou tout simplement de la région Rhône-Alpes, ont des affinités avec l’occitan le moins méridional, celui des Auvergnats du temps jadis. Leur langue avait quelque peu influencé, voici belle lurette, l’illustre serment de Strasbourg en 842, premier document écrit en langue française ou pré-française au titre des dynastes carolingiens.
LE POITOU FUT JADIS OCCITAN
L’étonnante entité « hollandiste » qui regroupe Limousin, Poitou-Charentes et Centre, a d’incontestables qualités francophones du côté de ce fameux « Centre » si bizarrement tailladé jadis au sud de la région parisienne et au-delà. Cependant, on ne peut oublier que le Poitou est devenu le terrain d’élection des grands fauves de la politique française, François Mitterrand, Jean-Pierre Raffarin, Ségolène Royal et tant d’autres. Surtout, le Poitou fut jadis occitan, producteurs lui aussi d’illustres troubadours parmi lesquels l’un des premiers poètes en langue provençale, souverain d’Aquitaine à ses moments perdus. Ce Poitou-Charentes fut en bonne partie protestant ; il se rattache ainsi au croissant de lune huguenot, entité géographique plutôt sudiste qui va ou qui allait de La Rochelle à Montpellier et qui remontait ensuite, via les Cévennes calvinistes, vers la Suisse huguenote.
Mais nous voici parvenus, déjà, non plus dans l’Occitanie, mais dans l’« Oïlanie » profonde, patrie de langue d’oïl, autrement dit France septentrionale prise en bloc au nord de l’Auvergne. L’Alsace-Lorraine est conservée dans le cadre hexagonal, dont elle fait partie à titre traditionnel et contemporain. Elle fut comme telle une invention de Bismarck en 1871 à des fins d’annexion. En fait, elle préexistait en France depuis longtemps, depuis Henri II et Richelieu, à cet épisode disons prussien qui s’imposa de 1871 à 1918. La Normandie vient d’être réunifiée, synthétisant la Haute et Basse-Normandie qui furent longtemps séparées. Les patriotes normands – dont je suis – ne devraient pas s’en plaindre.
La Bretagne reste semblable à elle-même avec en son ouest l’originalité qui la caractérise, la présence d’un parler celtique ; il fut apporté vers le milieu du premier millénaire par des immigrants venus de la Cornouaille, aujourd’hui anglaise, qui voyageaient sur leurs radeaux, conduits par l’illustre chef armoricain qu’était saint Colomban, lui-même canonisé par la suite sous la forme d’une espèce de divinité péninsulaire. Nantes reste un sujet de contestation.
Le Nord – Pas-de-Calais, lui, ne bouge guère. Il fut jadis, entre les deux guerres, le pays où l’on travaillait, où l’on payait l’impôt et faisait des enfants. Ce passé n’est pas entièrement révolu. La fusion Picardie – Champagne-Ardenne n’est pas si sotte. Le picard faillit devenir la langue littéraire de la France médiévale. Il n’est pas besoin non plus d’exalter la Champagne ou plutôt le champagne, dont le prestige mondial constitue un paradoxe vis-à-vis d’une France qui a bien du mal à imposer ses productions spécifiques à l’échelle internationale. L’Ardenne était dès le XVIIIe siècle l’une des petites contrées françaises les plus alphabétisées, cependant que les Ardennais, ardents nationalistes, se situaient à l’avant-garde du patriotisme français.
LA FRANCE HEXAGONALISÉE… À L’ÉCHELLE MONDIALE
La nouvelle région Bourgogne – Franche-Comté s’est construite depuis bien longtemps sur des parallélismes frontaliers de part et d’autre, même si « la » Comté, comme on disait, pratiquait en son extrême sud un dialecte plus proche du suisse romand que de notre langue. L’Ile-de-France commande tout le destin multiprovincial de l’« Oïlanie », laquelle deviendra tout simplement la France hexagonalisée… à l’échelle mondiale. Le charme des Pays de la Loire n’a pas fini de nous étonner, même si Ronsard, qui célébrait la séduction des grandes forêts ligériennes de cette vallée, fut le premier en tant qu’actionnaire hypocrite d’une société anonyme à participer financièrement à leur destruction.
Nous conclurons sur la Corse, île qui s’enrichit très rapidement ces temps-ci grâce à son patrimoine littoral et touristique mais qui malheureusement détient avec Marseille le record de l’assassinat, de temps à autre, entre malfrats.
Les quatorze régions ont un côté séduisant qui retient notre attention. Il ne devrait pas pourtant nous faire oublier la plaie du chômage, dévastateur tous azimuts, depuis la vieille région ex-industrielle de Lille-Roubaix-Tourcoing jusqu’à l’autre extrémité, sudiste en l’occurrence, de la nation ; et cela malgré les délassements qu’offrent aux touristes les plages de Saint-Tropez, de Carnon et même de l’inoubliable Palavas-les-Flots…
Emmanuel Le Roy Ladurie (Historien) De nouvelles identités régionales ?
Le Monde.fr | 04.07.2014
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Dessin sur le projet de réforme territoriale du gouvernement Hollande. | FANNY MICHAELIS

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Deux phénomènes peuvent amener à une manipulation dans la prise en compte des informations par notre conscience : --> Le mirage qui voile et cache la vérité derrière les brumes de la sensiblerie et de la réaction émotionnelle. --> L’illusion qui est une interprétation limitée de la vérité cachée par le brouillard des pensées imposées. Celles-ci apparaissent alors comme plus réelles que la vérité qu’elles voilent, et conditionnent la manière dont est abordé la réalité … A notre époque médiatisée à outrance, notre vigilance est particulièrement requise !
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