Presse, édition et politique, la sinistrose est à la mode…

Le Canard Enchaîné du 13 août 2014 – Jean-François Julliard
… et les rares bonnes nouvelles sont dissimulées sous un crêpe noir.
« Pourquoi la France va faire faillite« , « Ce pays qu’on abat« , « Sabordage, comment la France détruit sa puissance« , « Jusqu’ici tout va mal », « Demain, vieux pauvres et malades ! » A une cadence soutenue, des livres aux titres débordant de pessimisme se succèdent sur les présentoirs des librairies.
Avec un chômage massif, une croissance plate et des dettes abyssales, l’heure n’est certes pas au triomphalisme. Mais se délecter de la catastrophe en cours ou annoncer le pire est devenu furieusement mode. L’art divinatoire de la « désastrologie » fleurit partout.

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Morose au « Point » 
Notamment dans la presse. Ainsi, « Le Point« , qui depuis des mois enchaîne les unes radieuses : « Les naufrageurs » (19/6), « L’Europe ou le déclin » (22/5), « Vite, on coule ! » (10/4), « Ceux qui massacrent la France » (27/3) « Ça ne dope pas spécialement les ventes, soupire un confrère de l’hebdo, mais il paraît que ça correspond aux attentes des lecteurs…
« Marianne » n’est pas en reste, avec « Les grands patrons français sont-ils nuls ? » (20/6), « Comment les Américains vont nous bouffer » (11/4) ou « Les somnambules » (28/3). En pages intérieures, les éditorialistes de ces hebdos en rajoutent une couche, tout en stigmatisant la sinistrose, au risque de la propager. Comme ces tribus qui veulent supprimer le cannibalisme en dévorant les coupables.
Dans la presse ou dans l’édition, les prophètes de la décadence de salon ont chacun leur spécialité : scénarios catastrophe de politique intérieure, de géopolitique, menace mortelle de la dette ou -très en vogue – méfaits de la dictature exercée par les fonctionnaires ou par les Impôts. Après les niches fiscales, la pleurniche fiscale ?
Chasseurs déprimes
1207-FranceMoroseCes chanteurs de blues ne se contentent pas de coucher leurs idées (noires) sur le papier. Ils animent des think tanks (cercles de réflexion), donnent des conférences, font vivre des cabinets de conseil. Nicolas Baverez s’est ainsi exprimé à la dernière convention de la Fédération française du bâtiment (qui ne vas pas). Et Mathieu Laine, spécialiste du droit des affaires, signe des tribunes angoissées (exemple dans « L’Opinion » du 16/6 : « Quand la France décroche« ), en prenant soin de citer sa boîte, Altermind, fondée avec la communicante du CAC40 Anne Meaux.
La gauche compte aussi ses « spleen doctors » : un groupe d’experts antilibéraux baptisé les « Économistes atterrés » et un courant du PS les « Socialistes affligés« ** A quand les « députés dépités« , les « requins chagrins » du CAC40 ou les « lepénistes rembrunis » du FN ? De droite ou de gauche, ces optimistes cultivent le même slogan : on va dans le mur. Celui des lamentations.
Histoire de s’inscrire dans l’air du temps, l’acteur et humoriste Raphaël Mezrahi a créé, l’an dernier, la Nuit de la déprime, où, durant une soirée de février (à l’Olympia), chanteurs tristes et poètes maudits ont clamé leur mal de vivre. La manifestation était sponsorisée par Kleenex, Nutella et Cajoline, et la présentation d’une ordonnance de Prozac ou de Lexomil pouvait faire gagner des cadeaux.
L’armée des sombres
untitledToute annonce de bonne nouvelle y était proscrite. Comme celle-ci, concernant, justement, les psychotropes. Rendue publique, quelques semaines avant la nuit à l’Olympia, par l’OCDE, elle a été un peu étouffée par nos médias neurasthéniques : la France a perdu sa 1ère place mondiale au palmarès de la consommation d’antidépresseurs ! Avec 50 « doses » par personnes concernée (comme l’Allemagne), elle se situe au-dessous de la moyenne des pays riches (56), loin de la Grande-Bretagne (71), du Danemark (85), du Canada (86) et du leader islandais (109) Cette pointe de rose parmi tant de nuages de gris méritait bien un silence gêné.
Les profs de morale en berne préfèrent reprendre (en boucle) cette conclusion de certains sondages : la France, c’est prouvé, est la championne planétaire du pessimisme, « loin devant les Afghans et les Irakiens… » Et tant pis si d’autres sondages donnent un son de cloche (ou de bourdon) différent.
Ainsi, chaque année, l’institut Gallup interroge, pour l’ONU entre 1 000 et 3 000 citoyens de chaque pays pour mesurer « un indice de satisfaction de vivre ». En 2013, la France obtenait 7 sur 10. Moins que les Scandinaves, mais au niveau des Américains (7,1) et des Britanniques (6,9), et mieux que les Allemands (6,7), les Japonais (6,1), les Irakiens (5) et … les Afghans (3,8). En guerre et affamés, ces derniers ne dansent pas de joie ? Ils devraient lire plus souvent les déclinologues français !
** Deux groupes de réflexion à l’intitulé quelque peu provoquant, mais dont les articles pertinents sont souvent diffusés sur ce blog

A propos werdna01

Hors des paradigmes anciens et obsolètes, libérer la parole à propos de la domination et de l’avidité dans les domaines de la politique, de la religion, de l’économie, de l’éducation et de la guérison, étant donné que tout cela est devenu commercial. Notre idée est que ces domaines manquent de générosité et de collaboration.
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