Le livre de Valérie Trierweiler – « Pauvres » Pujadas « pauvre » Saint-Cricq et leurs ADN ORTF : Ils ont évoqué « détails intimes, voire impudiques », sans le moindre intérêt politique.

Nouvel Obs 04/09/2014 Par Bruno Roger-Petit Chroniqueur politique

Pujadas et Saint-Cricq éreintent Trierweiler sur France 2 : le retour de la télé ORTF

pujadasLE PLUS. Le 20h de France 2 a réservé un accueil plutôt froid au livre de Valérie Trierweiler. David Pujadas et Nathalie Saint-Cricq ont évoqué, mercredi 3 septembre, un ouvrage qui fait la part belle aux « détails intimes, voire impudiques », sans le moindre intérêt politique. Ce traitement de l’information moralisateur et minimaliste est digne de l’antique ORTF, selon notre chroniqueur Bruno Roger-Petit.
Le 20h de France 2 a traité le livre de Valérie Trierweiler à l’ancienne, façon ORTF pompidolienne. En déconnexion totale avec l’époque, la société et… le journalisme 2.0.
 Est-ce la conséquence d’un nouveau décor qui paraît avoir été extrait des archives de l’INA 1985 ? Toujours est-il qu’au soir d’une journée où la France entière n’a parlé que de ça, le JT de la chaîne publique a opté pour un couverture de l’événement à l’ancienne.  Minimisation et leçon de morale, ce furent les mots d’ordre retenus pour écraser Valérie Trierweiler et son livre.
 Pour France 2, ce n’est pas un événement politique
 L’horaire d’abord. Ce n’est qu’à 20h26 que les téléspectateurs de France 2 ont eu le droit de savoir ce qu’était l’événement politique de la journée, pour du reste apprendre que ce n’était pas un événement politique.
 Auparavant, dans la grande tradition anxiogène du journal télévisé néo-libéral de Pujadas destiné aux anciens élèves d’HEC des années Tapie, le téléspectateur avait eu droit aux usuelles sujets de culpabilisation nationale :
 – Sujet sur la méchante réforme ratée des rythmes scolaires et la révolte des malheureux maires victimes du gouvernement ;
 – Sujet la ruée des étudiants français vers la Belgique, fuyant la méchante université française bureaucratique
– Sujet sur les méchants salariés français du privé, les rois de l’absentéisme, des feignants qui ruinent la compétitivité française, avec en tête les gens de la Méditerranée, à cause des vieux salariés, qui sont plus souvent malades ;
 – Sujet sur un chômeur de longue durée, victime du méchant Pole emploi, encore une administration qui ne sert à rien, bureaucratique et inutile ;
 – Sujet sur le choc de simplification, encore un échec du méchant gouvernement…
 Ce n’est qu’après ces thématiques, fidèles à la ligne éditoriale Pujadas, qu’enfin, le sujet du jour fut abordé.
 Un sujet expédié en une minute et dix secondes
 En première ligne, Nathalie Saint-Cricq, éditorialiste politique maison, le tout pour aborder le sujet en mode leçon de morale. Et le propos est alors sans appel : le livre de Valérie Trierweiler n’est pas digne d’entrer dans le débat public. « Ce n’est pas un livre politique », décrète Saint-Cricq, qui s’acharne en moins d’une minute :  « Détails intimes, voire impudiques », « toutes ces choses relèvent de leur privée », « c’est sa vision de leur histoire », « volonté de revanche, envie de vengeance affleurent à chaque page. »
 Pujadas en rajoute avec une relance habile :  « Voici pourquoi nous avons décidé de ne pas entrer dans le détail de ce livre… Est-ce que l’Élysée a réagi ?  » (notons la contradiction : ce livre n’est pas politique, mais quand même, on s’intéresse à la décision de l’Élysée, alors qu’en toute logique, cela ne devrait même plus être traité compte tenu de la ligne choisie)
 Réponse de Saint-Cricq : « Silence radio » (donc poser la question était bel et bien inutile) le tout rehaussé d’une ultime pique :  « Ce livre ne grandit pas la politique, et encore moins son auteur » (et encore la contradiction : si ce livre n’est pas politique, il ne peut ni grandir ni abaisser la politique, par définition).  Le tout expédié en une minute et dix secondes.
 Leçon de morale ne fait pas ligne éditoriale
Étrange traitement éditorial en vérité. Étrange choix que de traiter un livre aux répercussions politiques indéniables par une leçon de morale façon grand-mère pour éviter de parler des aspects politiques de l’affaire.
 Car leçon de morale ne fait pas ligne éditoriale. Preuve en est la contradiction du dit-traitement par Pujadas et Saint Cricq : « Ce livre n’est pas politique, mais il ne grandit pas la politique ». Et aussi : « Ce livre est nul, on ne vous dira pas pourquoi, mais nous on le sait, on l’a décidé pour vous ».
 Pujadas et Saint-Cricq prennent leurs téléspectateurs pour des benêts, à qui on peut dire « On a lu pour vous, c’est horrible, on ne vous en parlera pas ». Mais c’est leur choix qui est infantile, d’autant plus infantile que, bien évidemment, il pousse plus à donner envie d’aller acheter le livre que de s’en détourner. Cette leçon de morale est en retard de vingt ans sur la société de l’information.
 Pujadas et Saint-Cricq pensent-ils encore que le 20h de la chaîne d’État est le prescripteur de la hiérarchie de l’information, pouvant se permettre de censurer de fait ce qui les dérange ?
 Le contraste était saisissant, mercredi, entre le mouvement de la société de l’information en prise sur le monde, entre radios, chaînes d’info continue, internet et réseaux sociaux, et l’immobilisme du 20h de France 2, englué dans son traitement ORTF de l’affaire.
 TF1, le parfait contre-exemple
  Il était tout aussi saisissant avec le 20h de TF1, qui a traité de l’affaire comme elle devait l’être, dès 20h10, resituant la sortie du livre dans un contexte global, après les épreuves Duflot, Montebourg, posant les bonnes questions politiques quant aux nuages qui s’accumulent au-dessus de la tête de François Hollande. C’était sobre, efficace, professionnel. C’était sur TF1. C’était du journalisme.
 Car enfin, si Pujadas et Saint-Cricq avaient réagi en journalistes, et non en héritiers de Michel Droit et Léon Zitrone, qui considèrent depuis toujours que le véritable patron de la chaîne, c’est le pouvoir en place et qu’il ne faut pas le fâcher, même François Hollande, ils auraient pu imaginer un autre traitement de l’information.
 Saint-Cricq aurait pu disserter sur le rétrécissement de la vie privée qu’imposent aux personnalités politiques les exigences de la société de la transparence. Elle aurait pu aussi mentionner que, depuis l’affaire du Sofitel, la vie privée des personnalités politiques, y compris leur vie sentimentale et sexuelle, est de fait entrée dans le champ public, sans limite ni tabou.
 Elle aurait pu analyser ainsi l’impact du livre de Valérie Trierweiler, souligner qu’il s’inscrit dans ce mouvement général.
 Elle aurait pu solliciter l’intelligence et la réflexion du téléspectateur, l’interpeller, lui demander si c’est bien dans ce monde-là que l’on veut vivre demain, si la transparence doit être sans limite, si les journalistes eux-mêmes ne sont pas responsables de cette dérive qui mène à l’anéantissement de la sphère privée de tous à terme, ces journalistes qui, sans arrêt, demandent de plus en plus de comptes aux politiques quant à leur morale intime et privée et à qui bientôt, ces mêmes politiques exigeront la même transparence en retour.
 Faire appel à la réflexion du public
Elle aurait pu citer un confrère, Pierre Haski, qui dans son papier du jour sur Rue89, consacré au livre de Valérie Trierweiler (encore une leçon de morale) estimait que oui, « la vie privée des hommes et femmes politiques est devenue un objet légitime d’intérêt, dans la mesure où, surtout depuis l’affaire DSK, nous ne voulons pas être dirigés par des obsédés sexuels, des déséquilibrés, des menteurs ou des manipulateurs ».
 Elle aurait pu dire : « Faut-il se priver des talents politiques parce qu’ils ont une vie privée qui nous déplaît, parce qu’ils sont menteurs et manipulateurs ? Faut-il brûler Philippe Le Bel, Louis XI, Richelieu, Mazarin, Talleyrand, Morny, Gambetta, Clemenceau, de Gaulle et autres Mitterrand, pour ne citer que ceux-là, parmi tant d’autres, dont les vies personnelles furent souvent agitées et dérangeantes ? »
 Elle aurait pu souligner que la dérive morale est telle que même Mendès France aujourd’hui, ne trouverait plus grâce aux yeux des « jusqu’au boutistes » de la transparence étendue à la vie sexuelle des responsables politiques.
 Elle aurait même pu, en faisant appel à sa réflexion, et non à son cerveau reptilien ORTF, mentionner que les défauts du président Hollande, que dénonce Valérie Trierweiler dans son livre, peuvent être considérés, selon les points de vue, comme des qualités nécessaires à qui veut maîtriser son destin en politique. Ne vaut-il mieux pas disposer, au sommet de l’État, d’un calculateur au sang-froid plutôt que d’un moralisateur impulsif ?
 Oui, elle aurait pu en dire des choses, Nathalie Saint-Cricq, sur le livre de Valérie Trierweiler, et David Pujadas avec elle, s’ils avaient été capables, ensemble, de dépasser leur habitus de vieux journalistes de la télévision publique prisonniers leur ADN ORTF.
 L’immobilisme, ce n’est pas du journalisme
 Mais ils n’ont pas su dépasser leur peur du patron de l’info de France télévisions, Thierry Thuillier. Leur peur du système dont ils s’imaginent dépendre. Leur peur de la nouvelle société de l’information, qu’ils se refusent à reconnaître car elle confisque leur pouvoir. Leur peur du livre de Valérie Trierweiler, in fine coupable à leurs yeux de porter un coup à la société de connivence politico-médiatique à laquelle ils appartiennent.
 Mais non, à l’image du nouveau décor de leur JT, daté et antique (concevoir un tel décor so 1980 en 2014, c’est un acte manqué en vérité), Saint-Cricq et Pujadas vivent dans une cathédrale de conservatisme. À côté du monde. À côté de l’opinion. À coté de i>Télé et BFM-TV. À côté de Twitter. À côté du mouvement de la vie.
 Leur traitement du livre de Valérie Trierweiler est le reflet de l’immobilisme de l’information télévisée de service public, de France télévisions. Et l’immobilisme, ce n’est pas du journalisme, c’est une servitude.
Édité par Sébastien Billard  Auteur parrainé par Aude Baron

A propos kozett

Deux phénomènes peuvent amener à une manipulation dans la prise en compte des informations par notre conscience : --> Le mirage qui voile et cache la vérité derrière les brumes de la sensiblerie et de la réaction émotionnelle. --> L’illusion qui est une interprétation limitée de la vérité cachée par le brouillard des pensées imposées. Celles-ci apparaissent alors comme plus réelles que la vérité qu’elles voilent, et conditionnent la manière dont est abordé la réalité … A notre époque médiatisée à outrance, notre vigilance est particulièrement requise !
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