Varsovie-en-Champagne

Le Canard Enchaîné – 10 septembre 2014 –
Ils ont détesté le plombier polonais, mais, aujourd’hui, ils adorent le vendangeur polonais. Dans les villages de la Champagne viticole, où le Front national a récolté plus de 30% des voix aux dernières élections – avec des pointes à 42% – , on on est beaucoup moins anti européen quand vient le temps des vendanges. Les frontières ouvertes n’ont pas que des inconvénients pour se procurer une main-d’œuvre motivée et disciplinée. Les Polonais, de ce point de vue, sont très recherchés : « Ils ne se plaignent jamais, quelle que soit la météo. C’est quand même bien pratique… » se réjouit un viticulteur très bleu Marine.
Avec eux, pas besoin de vendangeuse mécanique, à laquelle les Champenois résistent encore. Ils vous ratissent un côteau à la vitesse d’une moissonneuse, et sans rien laisser derrière eux. Payés au kilo – environ 17 centimes, congés payés inclus – ils n’ont aucune raison de musarder pour admirer le paysage, pourtant candidat au patrimoine de l’Unesco. un contremaître, choisi pour son autorité naturelle sur ses camarades, est là pour secouer les lambins et les remettre dans le rythme. Le tout en version originale, sans sous-titres français. « C’est pour ça que je ne fais pas de mélange (sic) et que je ne prends pas de Français : ça risque d’être un enfer pour eux« , commente un autre frontiste déclaré, propriétaire d’une dizaine d’hectares.

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Les cohortes de Polonais et de Kosovars (encore plus résistants) n’occupent pas encore la totalité des 100 000 places de saisonnier proposées pour les deux à trois semaines que dure la récolte champenoise, mais ils contribuent à généraliser la rémunération à la tâche et non plus au smic horaire Encore moins avec heures supplémentaires et majoration le dimanche, ce qui fut longtemps la règle.
Le recours à la main-d’œuvre de l’Est est parfaitement légal, mais, même sous contrat français, le « rendement polonais » reste particulièrement performant en cas de grande récolte, comme celle prévue cette année (entre 10 500 et 13 500 kilos à l’hectare). Surcoté par la demande des plus grandes marques, le raisin « le plus cher du monde » continue en effet de battre des records : 5,65 euros le kilo, en moyenne, l’an dernier, et jusqu’à 6,50 euros cette année dans les meilleurs crus ! De quoi se saouler comme des Polonais, mais entre bons Français pour arroser ça.

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