LE MONDE | 19.09.2014 |
Deux ans, il n’en aura pas fallu davantage pour que le match retour commence à s’esquisser. Nicolas Sarkozy contre François Hollande.
L’événement politico-sportif du week-end avec mise en jambe prometteuse : le premier n’était pas encore descendu dans l’arène, il n’avait pas encore officialisé sa candidature à la présidence de l’UMP, qui est en réalité une candidature à peine déguisée à la présidentielle, que le second l’attendait de pied ferme. Même pas peur !
C’était tout le sens de la longue conférence de presse organisée jeudi 18 septembre à l’Elysée, un exercice d’endurance, la théâtralisation d’un président grave, butant parfois sur les mots et pourtant pas si K.-O. que cela malgré tout ce qu’il lui est tombé sur la tête ces dernières semaines : l’insurbordination d’Arnaud Montebourg, l’impitoyable règlement de comptes d’une ancienne compagne particulièrement mal lunée, la fronde des frondeurs et, surtout, cette panne de résultats qui mine le quinquennat.
Eh bien, il est debout, François Hollande, les nerfs solides, la conscience tranquille, sûr de son fait, prêt à présider « jusqu’au bout », apparemment indifférent à l’échéance de 2017, et pourtant galvanisé par le combat qui s’annonce et qui enfin le sort du face-à-face mortifère avec sa propre majorité. Et de lancer un coup de griffe à l’ancien président de la République, désormais « candidat à la présidence d’un parti », avant de lui rafraîchir la mémoire sur son bilan avec une précision d’expert-comptable : tant de milliards de déficit par-ci, tant de millions de chômeurs par-là.
100 % POLITIQUE
Drôle de combat, tout de même ! François Hollande s’était fait élire en 2012 en surfant sur l’antisarkozysme. Nicolas Sarkozy espère revenir en 2017 à la faveur d’un antihollandisme de plus en plus virulent. Ils sont les frères ennemis de la décennie, les sexagénaires que tout oppose et tout lie en même temps. L’un aussi « hyper » que l’autre est « hypo », mais 100 % politique tous les deux, le cuir tanné face à l’avalanche de critiques qu’ils ont essuyée dans l’exercice du pouvoir, accusés l’un après l’autre d’« abîmer » la fonction, de creuser les déficits, de se jouer de l’Europe, d’avoir la main qui tremble lorsqu’il s’agit de réformer, d’être impuissants face au chômage et inaptes à réduire les multiples fractures qui rongent la République.
Et pourtant debouts, parés pour le combat, partis pour la longue course de haies qui consiste à rassembler son camp, la gauche d’un côté, la droite de l’autre, les deux en aussi mauvais état l’une que l’autre, avec en embuscade Marine Le Pen qui fait son miel de leur successif insuccès.
François Hollande a besoin de rallumer le vieux réflexe antisarkozyste pour ressouder la gauche. Nicolas Sarkozy se nourrit de la faiblesse du président pour imposer son leadership à une droite qui ne l’aime plus autant, mais continue de le craindre. L’un est fragilisé par l’absence de résultats, l’autre par une flopée d’affaires, mais tous les deux veulent encore se mesurer parce que, dans la lessiveuse politique actuelle, cinq ans c’est décidément beaucoup trop court pour compter dans l’Histoire.
Françoise Fressoz éditorialiste
Pluie de questions
LE MONDE | 19.09.2014 | Par Renaud Machart
François Hollande a déclaré, au tout début de sa conférence de presse du jeudi 18 septembre, au Palais de l’Elysée, devant un parterre de quelque 350 journalistes (dont un seul représentant étranger de la presse internationale est intervenu), qu’il s’adressait à la presse et, par là même, aux Français.
Je me suis demandé qui, parmi les Français, avait regardé de bout en bout, à cette heure, sur les chaînes d’information en continu, cette intervention de près d’une heure, et le long échange de questions-réponses qui a suivi. Il est plus probable que l’immense majorité d’entre eux n’en aura vu que les meilleurs morceaux dans les journaux du soir, devenus immanquablement de « petites phrases ».
Or l’exercice auquel le président souscrivait pour la quatrième fois au cours de son mandat méritait qu’on le suive intégralement. D’abord parce que l’ensemble de ses propos n’avait rien de dilatoire, de rhétorique ; ensuite parce que la palette des affects dont il a témoigné (je laisse à d’autres l’analyse du fond de son discours) était subtilement étayée de sérieux, d’intelligence extrême, d’humour et de finesse de langage.
Or cette image de lui-même avait fini par se troubler comme une vitre battue par la pluie.
ASSEZ BEAU DÉGAGEMENT VERTICAL
A propos de pluie, l’affaire de l’île de Sein a naturellement été évoquée. Par lui-même d’abord, en forme de clin d’œil imagé (« Je ne m’abrite pas »), puis en réponse à ma consœur Camille Langlade, qui lui demandait de revenir sur ce discours prononcé sous un déluge.
La question ne s’imposait peut-être pas, mais elle permit au président de répondre avec une implacable et courageuse simplicité : on ne demande pas un parapluie quand d’anciens combattants écoutent trempés.
Une seule question évoqua le livre de son ex-compagne. « J’y ai déjà répondu ailleurs. » Nul doute que la « journaliste indépendante » qui l’a posée n’avait pas été mise au courant que ce débat était clos.
Une dernière question, formulée par Jean-Jérôme Bertolus, d’i-Télé, a donné à M. Hollande l’occasion d’un assez beau dégagement vertical (prendre de la hauteur), horizontal (prendre de la profondeur) et latéral (prendre la sortie). Mon confrère lui a demandé, dans une simplicité assez psychanalytique, quel enseignement sur lui-même lui avait fourni sa première moitié de mandat.
Hollande s’est assez sincèrement exprimé à nouveau, il m’a semblé, en disant la dureté impitoyable de l’exercice. Et, avec cette manière qu’il a, dans ses meilleurs moments, de faire coïncider intelligence brillante et mate profondeur, le président a adressé à cette presse qu’il aime et qui ne le ménage pas cette aussi belle qu’habile péroraison : « Vous pensez que vous êtes dur par rapport à moi ; sachez que vous ne le serez jamais autant que je le suis par rapport à moi-même. »
Renaud Machart Journaliste au Monde