Sarkozy – L’os de la semaine : Désarkozysons-le

Rue89 23/09/2014 Xavier de La Porte | Rédacteur en chef

Notre problème avec Nicolas Sarkozy !

Nicolas Sarkozy nous pose un problème. Un problème politique, bien sûr, mais aussi un problème professionnel. Il revient sur la scène politique, et avec lui revient la tentation d’en parler. Parce que les autres en parlent, parce qu’un ancien Président battu qui retourne au combat, c’est inédit, parce que Nicolas Sarkozy a une manière d’être et de formuler les choses qui fait réagir, parce que la politique a besoin d’événements – même minimes – et que lui a l’art d’en créer – même minimes. Mais cette tentation, nous ne voulons pas y céder.
D’autant que l’histoire de Rue89 est d’une certaine manière liée à Nicolas Sarkozy. Le site a été lancé le 6 mai 2007, jour de son élection à la présidence de la République, et en a fait un de ses sujets favoris. Sujet d’enquête, de décryptage, d’énervement, de raillerie et d’étonnement. Pendant sept ans, nous avons pu constater – et peut-être en avons-nous joué parfois – que parler de Nicolas Sarkozy, ça marche. Mais il était alors président de la République, puis ex-président de la République.
Qu’est-ce qu’on fait avec Sarkozy ?
Il en va autrement aujourd’hui. Nicolas Sarkozy entre en campagne. Pour la présidence de son parti, et sans doute pour plus. Nous ne voulons pas faire la campagne de Nicolas Sarkozy. Nous ne voulons pas relayer le moindre soubresaut, le moindre ralliement, la moindre expression, la moindre phrase de lui ou phrase sur lui.
Nous savons, pour l’avoir déjà vécu pendant une bonne partie des années 2000, qu’une des forces de Nicolas Sarkozy résidait précisément dans l’entretien d’un bruit permanent qui capte l’attention et la détourne du reste.
Depuis quelques jours, cette stratégie est à nouveau à l’œuvre, et elle nous enrôle, nous qui nous pensons commentateurs malins et qui en devenons de fait des acteurs nécessaires. Nous voulons rendre compte de ce qui se passe, mais nous ne voulons pas y participer.
D’accord.
Mais comment faire ? Ça a été la question de notre conférence de rédaction hebdomadaire ce lundi. Comment se défaire de nos contradictions ? Qu’est-ce qu’on fait avec Sarkozy ?
Faire l’impasse, ne pas en parler, cela relèverait de la faute professionnelle. N’en parler que lorsqu’on a une info exclusive, ce serait ne pas en parler quand l’info est dans les mots ou dans le mouvement tactique. Edicter une règle (un papier hebdomadaire, un nombre de signe maximal...), ce serait trop rigide, artificiel. Trouver un mode à part (un fan ridicule, un Persan à qui on raconterait ce qui se passe), ce serait renforcer un statut d’exceptionnalité.
Désarkozysons-le
Au fond, la question, c’est celle de la juste mesure. Comment donner au retour de Nicolas Sarkozy sa juste mesure ? Mais pour évaluer cette mesure, il n’y a pas d’outil fiable. D’abord parce qu’elle varie selon les gens – selon qu’on soit militant à l’UMP ou abstentionniste désintéressé par la politique – et selon le moment. Ensuite, parce que l’échelle de cette mesure est difficile à établir. L’importance au regard de l’Histoire ? Nous serions bien prétentieux d’en juger, nous sommes journalistes, nous n’avons pas le recul nécessaire. Le respect des lecteurs ? Oui, mais les papiers qui mentionnent Nicolas Sarkozy sont en proportion beaucoup lus. Bref, jamais nous ne jouirons de l’outil définitif.
Bien sûr, Nicolas Sarkozy n’est pas le seul objet journalistique à poser problème. Mais celui-là, on le connaît. On l’a déjà expérimenté. On sait que son existence – et sa réussite – dépend pas mal de nous.
Alors, il nous reste à faire de Nicolas Sarkozy un sujet comme un autre. Il faut « désarkozyser » Sakozy. Faire une sorte de travail mental consistant à le débarrasser chaque jour de tout ce qu’on a mis en lui depuis des années (le stratège, le Tigre, le facho, le copain des riches, l’inculte, etc.). Résister quotidiennement à l’agacement, à l’indignation vaine, à l’effarement, à l’impression qu’il se passe quelque chose, à l’envie qu’il se passe quelque chose, au papier qui fait cliquer. Il va falloir le réduire à ce qu’il est.
Ça va être dur. On va avoir besoin d’aide.

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A propos kozett

Deux phénomènes peuvent amener à une manipulation dans la prise en compte des informations par notre conscience : --> Le mirage qui voile et cache la vérité derrière les brumes de la sensiblerie et de la réaction émotionnelle. --> L’illusion qui est une interprétation limitée de la vérité cachée par le brouillard des pensées imposées. Celles-ci apparaissent alors comme plus réelles que la vérité qu’elles voilent, et conditionnent la manière dont est abordé la réalité … A notre époque médiatisée à outrance, notre vigilance est particulièrement requise !
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