Comment les économistes médiatiques nous enfument

Siné Mensuel – octobre 2014 – Interview de Laurent Mauduit
Les imposteurs de l’économie
En France, une vingtaine d’experts, souvent autoproclamés, monopolisent le débat public. Dette, chômage, fiscalité, mondialisation… leurs analyses et solutions sont reprises en boucle par les journaux et à la télévision, tandis que gauche et droite se les disputent pour donner du crédit à leurs projets économiques.
Mais, qui a eu l’idée d’expertiser ces experts ? Quelles sont au juste leurs compétences ? Pourquoi la plupart d’entre eux ont-ils été incapables de prévoir la crise économique et financière sans précédent qui ébranle le monde depuis 2008 ? Surtout, ces donneurs de leçons sont-ils vraiment indépendants et leurs avis désintéressés ? Rien n’est moins sûr…
Outre les invraisemblables bourdes commises par plusieurs « économistes » de renom, Laurent Mauduit révèle l’affairisme, les compromissions, les conflits d’intérêts mais aussi le double jeu politique dont certains d’entre eux se rendent coupables. En toute impunité ! Car, aujourd’hui en France, une petite caste, soumise au pouvoir de la finance, a fait main basse sur le débat d’idées, les grands médias et même l’Université. Et elle n’a qu’un seul intérêt : le sien.
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Laurent Mauduit, cofondateur de Mediapart et auteur de À tous ceux qui ne se résignent pas à la débâcle qui vient (éd. Don Quichotte), est interviewé ce mois-ci dans Siné Mensuel  (extraits) :
Dessin de Faujour - Comment les économistes médiatiques nous enfumentLa formation des économistes est-elle en cause ? Il y a une OPA de la finance sur les milieux intellectuels et c’est un danger. La loi de 2006 a autorisé les grandes universités à créer des fondations et des chaires financées par les grands groupes comme L’Oréal, AXA, Total, BNP Paribas, Crédit agricole… C’est une bombe logée au sein de l’université dans les disciplines économiques : avec une université sous la coupe du privé disposant de rémunérations trois à quatre fois supérieures à celles de la fonction publique.
Pourquoi et comment ces économistes ont-ils pris un tel pouvoir ? Au cours de mon enquête, j’observe aussi qu’une partie des journalistes est dans ce même système de corruption. Je prends l’exemple d’une émission qui est totalement à pensée unique, la pensée unique néolibérale, C dans l’air, d’Yves Calvi. Les seuls économistes invités sont précisément ceux dont je parle dans mon livre, ceux qui siègent au Conseils d’administration des banques, etc. et qui, de fait, médiatisent « l’économie » de leurs clients. Ils sont invités non-stop, partout, dans tous les médias. On ne voit pratiquement, on n’entend qu’eux, ils nous expliquent la crise et ses solutions à leur manière, néolibérale. Un scandale. Parmi ceux que l’on entend et voit partout, il t en a qui sont présentés comme des économistes alors qu’ils ne le sont même pas, comme Marc Fiorentino qui détenait lui-même une société de placement en Bourse et qui avait fait l’objet de trois sanctions de l’Autorité des marchés financiers. Ce qui est très grave, c’est qu’une grande partie des journalistes économiques s’est couchée et a accepté ces mœurs. Un naufrage…
On est en fait dans une société proche du second empire : un pouvoir fort, pas de contre-pouvoir, le Parlement est méprisé, la presse est rachetée par des oligarques… Je pense qu’on est pas dans un état de droit; je pense que la France est un pays malade et que ce système de remise au pas de la presse et des économistes a été beaucoup plus loin que dans d’autres démocraties… Imaginez vous aux qu’aux États-Unis, pays libéral s’il en est, le plus grand quotidien économique soit la propriété du plus grand patron du pays ?
julieDans ce mouvement là, la corruption a gagné jusque dans les rangs du PS et une partie du personnel politique a été totalement gangrénée par le camp adverse ! Regardez sur qui s’appuie François Hollande : Jean-Pierre Jouyet dont toutes les convictions sont à droite, qui pense « qu’il faut aller vers davantage de flexibilité et des boulots qui ne sont pas forcément payés au Smic », dont les réseaux personnels sont des amitiés avec les banquiers d’affaires. Emmanuel Macron, devenu ministre de l’Economie et remplacé en tant que conseiller économique de Hollande par Laurence Boone, memebre du Cercle des économistes (l’un cénacles mondains et parisiens de la pensée unique), chef économiste chez Bank of America Merrill Lynch, puis dans le groupe du milliardaire François Pinault (qui estimait que le président n’en faisait pas assez en faveur des milieux patronaux).. Il y a une porosité très forte entre certains milieux socialistes et les milieux financiers qui fait que certains d’entre eux ne se posent même plus la question. Ils sont dans une bulle et ne devinent même pas les souffrances sociales du pays.
Je pense qu’on vit la mort de la gauche. Hollande à promu au sommet les fossoyeurs, celui -Valls – dont Montebourg disait : « Il n’a qu’un pas à faire pour passer à l’UMP ». Il n’y a plus aucune différence.
Ce qui est rassurant, c’est que la garnde collectivité des économistes a résisté à cette évolution-là. La grande masse a vécu cette évolution avec indignation et il y a des poches de résistance, Attac, les Économistes atterrés qui proposent des solutions différentes, plus adéquates.
Et ces idées discréditées, celles que la droite a toujours défendu et qui constituent le credo de Hollande, vous les connaissez : c’est que la dette publique est trop forte.
C’est l’un des exemples types des ravages de la pensée unique. Les Français vivent avec l’idée qu’on leur serine à longueur d’émission : le pays vit au-dessus de ses moyens. On dépense trop, les dépenses sociales sont trop importantes, donc il faut que chacun fasse des économies, et l’État lui-même… d’où les 50 milliards d’euros d’économies, un montant totalement hors normes.
En fait, quand on étudie les chiffres – ceux du rapport de Gilles Carrez (UMP) en 2011–, ils montrent que s’il n’y avait pas eu de baisse d’impôt de 2000 à 2010, la dette publique serait à 60 %. On serait un bon élève, juste au plafond du critère de Maastricht, pas besoin de plan d’austérité. Or ces baisses d’impôts, c’est quoi ? C’est à 60 % des baisses d’impôts sur le revenu. Par définition, ça touche les 50 % des Français qui ont le plus d’argent. On a donc assisté sur dix ans à un immense système de transfert de revenus : les riches s’enrichissent et on veut le faire payer aux pauvres sous la forme d’un plan d’austérité…la suite dans Siné Mensuel d’octobre.

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444 pages /Taille : 140*205 /Prix : 19,90 euros /ISBN : 978-2-35949-311-5

A propos werdna01

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