Politique – L’air du temps : Changer le nom des partis ?

LE MONDE | 29.10.2014

Ce n’est ni une nouveauté ni un acte anodin

Par Michel Offerlé (Professeur à l’Ecole normale supérieure-Ulm), sociologue spécialiste du patronat.
L’air du temps est aux changements de patronymes partisans. Finis les sigles usités et datés d’une à quatre décennies (PS 1971, FN 1972, UMP 2002) ? Place à de nouvelles dénominations ? Et donc place à un nouveau système partisan ?
Les trois formations concernées le sont à des titres divers : appropriation personnalisée d’une organisation dans le cas du FN et de l’UMP, actualisation et officialisation de l’achèvement d’un glissement identitaire au PS.
Un peu d’onomastique partisane permet d’en comprendre les enjeux. Les noms de partis sont des bannières qui fournissent un raccourci confortable aux acteurs les moins intéressés à la politique. Ils confèrent une seconde identité à ceux qui en obtiennent l’investiture ; et, pour ceux qui savent décrypter ces sigles, pas si évidents que cela, ils érigent la mise en scène d’une forme organisationnelle, d’un référent politique historiquement constitué et d’une nationalité.
Une organisation revendique ainsi un patronyme soit explicitement partisan (Parti radical), soit déniant ce type de label (union, rassemblement, mouvement), soit ignorant le lien organisationnel (les Vrais Finlandais, l’Aube dorée grecque, l’ex-Forza Italia).
Historiquement, en France, le label partisan est majoritairement endossé par les formations politiques situées à gauche de l’espace politique. Le second attribut renvoie à un rattachement/attachement explicite à une « famille politique » (internationalement ou nationalement reconnue, libéraux, socialistes, gauche). Enfin, le caractère national ou français de l’ensemble peut être clairement souligné et assumé (Front national, Parti communiste français). Le sigle ainsi constitué fonctionne comme une marque et un marqueur identitaires susceptibles de se transformer en acronymes (FN, PS, UMP, PG), et de circuler sans qu’il soit désormais besoin d’avoir à expliciter la signification du sigle devenu image et boussole minimales pour les consommateurs de politique, très inégalement intéressés par le suivi au quotidien de la politique, politicienne ou non.
L’une des autres caractéristiques des formations politiques françaises est le changement constant de leurs référents. Seuls les deux plus anciens partis, radical, 1901, et communiste, 1920, ont gardé leur nom d’origine, même s’ils ont changé en interne et relationnellement. Dans la plupart des pays comparables, les sigles ont été préservés (sauf en Italie) et les partis sont, depuis soixante-dix, voire cent vingt ans, installés sur des clivages « congelés » qu’ils gèrent et tentent de préserver face au nouveaux entrants récents (populistes et écologistes).
Rupture interne
Actuellement, le changement de noms est à l’ordre du jour de la politique française. Récemment, ce sont les Verts, devenus Europe Ecologie-Les Verts (EELV), l’UDI (Union des démocrates et indépendants) et Debout la République, devenu Debout la France, qui ont offert de nouveaux points de repère. Mais plus importantes et plus significatives sont les tentations de certains dirigeants des partis actuellement centraux dans le champ politique français de changer de référents.
Opération qui n’est pas anodine : elle engage une rupture interne parce qu’elle implique une opération toujours délicate de réapprentissage externe pour les moins politisés des électorats potentiels ; parce que le changement de nom implique à la fois des discussions où se mêlent marketing et identités politiques, et parce que le changement de nom peut impliquer une modification du territoire revendiqué par le parti comme étant son domaine et sa propriété. Marine Le Pen, Valls et Sarkozy doivent donc gérer un patrimoine symbolique à haute teneur affective et historique.
Dans le cas du FN, c’est une question de personnes et d’histoire (la transmission d’un héritage familial et indissolublement d’une entreprise politique). C’est aussi le prolongement d’une mutation déjà opérée par le dédoublement du sigle entre FN et RBM (Rassemblement Bleu Marine), acronyme très personnalisé qui peut obérer une institutionnalisation partisane.
Le débat au sein du Parti socialiste est encore plus complexe, car le référent est plus ancien encore et dépersonnalisé. Ce n’est pas moins de cent trente-cinq ans d’histoire qu’il s’agit d’éponger avec des arguments également recevables : d’un côté, l’attachement continu à une « famille politique », labellisée internationalement ; de l’autre, la négation de cette identification pour des générations d’électeurs qui ne savent plus, sinon par quelques transmissions scolaires et familiales, ce que socialisme veut dire et pour certains dirigeants qui ne veulent plus de son contenu  le vieux logiciel socialiste »).
Nicolas Sarkozy pourrait rencontrer quelques obstacles dans le choix d’un nouveau réfèrent devenu indispensable eu égard à l’histoire récente de l’UMP. Réinventer la filiation gaulliste en revivifiant le label du rassemblement, inventer un patronyme non politique type La Maison bleue en 2002, l’Avenir ou Ensemble, ou significativement, revendiquer, ce qui n’a jamais été fait dans l’histoire politique française, sauf de manière éphémère par Charles Millon, un label très expansif, « La Droite ».
Pour les trois organisations, il y a des précédents français ou étrangers… Cela s’appelle des refondations partisanes et des transformations du système partisan, telles que les partis dits gaullistes ont connues depuis l’UNR/UD-V°/UDR/RPR/UMP et telles que certains partis italiens (PCI et MSI) ont gérées.
Michel Offerlé est professeur à l’Ecole normale supérieure-Ulm et est l’auteur de « Les Partis politiques », PUF, 2012 (8e édition)
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Un nouveau nom pour les partis : vraie métamorphose ou simple changement de façade?

A propos kozett

Deux phénomènes peuvent amener à une manipulation dans la prise en compte des informations par notre conscience : --> Le mirage qui voile et cache la vérité derrière les brumes de la sensiblerie et de la réaction émotionnelle. --> L’illusion qui est une interprétation limitée de la vérité cachée par le brouillard des pensées imposées. Celles-ci apparaissent alors comme plus réelles que la vérité qu’elles voilent, et conditionnent la manière dont est abordé la réalité … A notre époque médiatisée à outrance, notre vigilance est particulièrement requise !
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