Le barrage de Sivens est venue rappeler l’actualité de la violence au cœur même de nos démocraties apaisées

 Par Xavier Crettiez (professeur de science politique)
Il existe une éthique de violence propre à la galaxie altermondialiste
Malgré le déclin des actions belliqueuses, un activisme radical d’une mouvance hétérogène associant altermondialistes et défenseurs de l’environnement est bien ancré dans la société
La mort violente sur le barrage en construction de Sivens d’un jeune homme de 21 ans est venue rappeler l’actualité de la violence au cœur même de nos démocraties apaisées. Cette affaire marque-t-elle l’ancrage d’une violence qui accompagnerait la politique parfois violente des responsables publics ? Un rapide retour historique suffit à en douter.
Le déclin des voies d’action belliqueuse pour s’exprimer est constant et marqué depuis les années 1970. Les violences extrémistes de gauche comme de droite ont fondu au regard de ce qu’elles étaient sous l’égide de la Gauche prolétarienne ou d’Ordre nouveau, pour ne citer que ces deux mouvements. Sur le front des violences ethnonationalistes, les régionalismes « militarisés » corse, basque ou breton sont en voie d’extinction, cédant la place à des militants gestionnaires notabilisés.
La mort de la grammaire marxiste, valorisant l’éthique révolutionnaire, comme la médiatisation des mouvements sociaux, forçant à une présentation de soi respectable, ont scellé le sort de l’activisme violent. Celui-ci reste mais aux marges du territoire sous la forme de la violence fondamentaliste, somme toute très limitée, dans les frontières nationales et n’engageant pas, pour l’instant, des collectifs politisés.
Un activisme radical
Depuis quelques années demeure néanmoins un activisme radical au sein d’une mouvance hétérogène, réunissant des militants environnementaux et des franges du mouvement altermondialiste. L’épisode de Sivens ressemble à s’y méprendre à ce qui s’est passé à Notre-Dame-des-Landes, à la frontière italienne avec le mouvement des No Tav s’opposant au tracé TGV Lyon Turin ou dans les Pyrénées, lors de la lutte contre la construction du tunnel de Somport. La défense de l’environnement, des espèces et espaces protégés, se confond avec un discours altermondialiste de refus des logiques de productivité libérale et réunit une minorité déterminée, héritière des éco-guerriers anglo-saxons et des black blocs anarchistes.
La violence s’y déploie dès lors aisément pour quatre raisons : les luttes engagées proposent un cadre de lecture séduisant par sa limpidité. Aux défenseurs désintéressés d’une nature sauvage et belle s’opposent les bâtisseurs polluants alliés aux intérêts mercantiles et politiques. Un tel clivage – qui répond en écho au grand récit valorisant du développement durable – ne peut que légitimer la main rebelle, fusse-t-elle trop leste.
La multiplication des heurts, ces dernières années, a ensuite favorisé un professionnalisme militant qui s’exprime dans les logiques de harcèlement des forces de l’ordre et la multiplication de répertoires d’action inventifs de face-à-face. Ce n’est d’ailleurs pas un de ces « professionnels de la contestation » qui est tombé hier, mais plutôt un militant d’une ONG institutionnalisée (France nature environnement), peu au fait des tactiques manifestantes d’évitement des coups.
Ce type de luttes écologistes a aussi comme caractéristique de se tenir dans des espaces limités et parfois clos, engageant les acteurs pendant de longues périodes harassantes et ayant comme enjeu, de part et d’autre, une maîtrise des zones convoitées. Cet ancrage territorial et cette dynamique de face-à-face, usante pour les forces de l’ordre comme pour les manifestants, est naturellement vectrice de débordements.
Enfin, pour une part minoritaire de cette mouvance, la violence peut être partie à l’éthique activiste, soit parce qu’elle répond naturellement à une violence de l’Etat supposée plus forte et immorale – et apparaît dès lors légitime –, soit parce qu’elle est au cœur du projet politique consistant à libérer par tous moyens des espaces de l’influence néfaste des intérêts marchands. Cette logique black bloc, importée des grands sommets internationaux, perce parfois dans le bocage rural.
LE MONDE | 30.10.2014 Xavier Crettiez (professeur de science politique, Université de Versailles- Saint Quentin, Sciences Po Saint-Germain-en Laye)

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Deux phénomènes peuvent amener à une manipulation dans la prise en compte des informations par notre conscience : --> Le mirage qui voile et cache la vérité derrière les brumes de la sensiblerie et de la réaction émotionnelle. --> L’illusion qui est une interprétation limitée de la vérité cachée par le brouillard des pensées imposées. Celles-ci apparaissent alors comme plus réelles que la vérité qu’elles voilent, et conditionnent la manière dont est abordé la réalité … A notre époque médiatisée à outrance, notre vigilance est particulièrement requise !
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