LE MONDE | 18.11.2014 |
A l’Est, rien de nouveau
La question n’est pas de savoir s’il y a des troupes russes dans l’est de l’Ukraine, mais combien s’y trouvent. Les journalistes ont parlé à des soldats russes qui se sont identifiés, ils ont photographié des chars, l’OSCE les a observés, l’OTAN les a reconnus. Tout le monde le sait, mais Moscou le nie.
Un étrange manège, de ceux qui inspirent John le Carré, se joue sur la frontière russo-ukrainienne. Seize observateurs de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), une institution de 57 Etats née en 1995 sur les ruines de la guerre froide, se partagent la surveillance de deux points de passage. Il y a beaucoup d’autres points de passage sur cette frontière de 1 576 km, mais ces deux-là, ceux de Goukovo et de Donetsk, sont les seuls sur lesquels la Russie, elle-même membre de l’OSCE, accepte une inspection.
Seize hommes pour deux postes, cela permet une surveillance permanente, 24 heures sur 24. La mission a l’air ingrate, mais, ces jours-ci, nos inspecteurs ne s’ennuient pas. Il suffit de lire leurs rapports, rédigés avec une précision de fonctionnaire. Mardi 11 novembre, une camionnette portant l’inscription « Gruz 200 », le code utilisé par l’armée russe pour le transport de ses morts, a traversé la frontière vers l’Ukraine, puis est repassée en Russie quelques heures plus tard.
Mercredi, dans leur bilan hebdomadaire, les observateurs ont chiffré à 665 le nombre d’« hommes et de femmes en tenue de style militaire » qui ont franchi la frontière, toujours dans les deux sens – « le chiffre le plus élevé observé jusqu’ici ». Mardi était décidément un jour faste : les inspecteurs ont compté 43 véhicules militaires sans immatriculation, direction Donetsk, fief séparatiste prorusse. Cinq camions tractaient de l’artillerie lourde, cinq autres des lance-roquettes multiples.
Tout le monde le sait, mais Moscou le nie
Et encore, nuance le Français Paul Picard, leur chef, dans une vidéo mise sur le site de l’OSCE, les inspecteurs ont-ils « une vue très limitée de la zone frontalière », en vertu des modalités agréées. En outre, poursuit-il, lorsque la Russie a accepté cette surveillance, fin juillet, « ces deux points de passage étaient les seuls qui échappaient au contrôle ukrainien. Depuis, la situation a changé. L’Ukraine a perdu le contrôle d’une bien plus grande partie de la frontière ». Alors, imaginez le reste !
Un pan entier de l’Ukraine est ouvert à la Russie : la frontière, de facto, n’existe plus