Vladimir Poutine est déterminé à renverser l’ordre établi, quitte pour cela à user de la force …Et tout est bon, désormais, pour déstabiliser un échiquier mondial qui ne lui convient plus.

Le monde de demain selon Vladimir Poutine

De plus en plus de bateaux russes signalés à la limite des eaux internationales, de plus en plus d’avions russes dans l’espace aérien de l’OTAN – plus d’une centaine recensés par l’Alliance atlantique en  2014, soit trois fois plus que l’année précédente.
Des alertes de plus en plus vives sur la situation dans l’est de l’Ukraine, au cœur de la crise depuis des mois entre l’Est et l’Ouest, où l’on assure, désormais, se préparer à  » une guerre totale « .  » Elucubrations « , répond la diplomatie russe, qui nie tout en bloc, les survols comme les convois militaires arrivés en renfort dans le Donbass. Danger, prévient l’Occident. Vladimir Poutine est sur le pied de guerre.
Exclue du G8 en avril à Washington, après l’annexion de la Crimée, la Russie est apparue en novembre très isolée au G20, en Australie. Prétextant du sommeil en retard, son président a quitté le sommet sans participer au traditionnel déjeuner de clôture. Un geste qui ne doit pas être interprété (seulement) à l’aune d’une quelconque mauvaise humeur, mais bien comme la volonté délibérée de s’affranchir du cadre des relations internationales issues de la fin de la guerre froide. Remise en question des frontières, remise en question des institutions supranationales, remise en question des règles : Vladimir Poutine est déterminé à renverser l’ordre établi, quitte pour cela à user de la force et à appeler à la mobilisation générale, en réquisitionnant les diplomates, l’armée et les médias.
Il a ainsi lui-même posé le sujet en ces termes dans son discours prononcé à Sotchi, en octobre, devant le club de discussion Valdaï, un forum réservé au gotha russe de l’économie et à quelques experts étrangers. Un nouveau monde avec  » de nouvelles règles ou un jeu sans règle ? Je pense que cette formule décrit avec précision le tournant historique que nous avons atteint aujourd’hui « , a souligné Vladimir Poutine, tout en fournissant une clé de lecture simple : ce sera avec Moscou, ou contre Moscou.  » Les changements dans l’ordre mondialet tout ce que nous voyons aujourd’hui constitue des événements de cette ampleur – ont généralement été accompagnés sinon par une guerre et des conflits à l’échelle mondiale, du moins par des chaînes de conflits locaux intenses. «  L’Ukraine en est l’exemple.  » Et je pense que ce ne sera certainement pas le dernier « , précisait le président russe.
Aux yeux du Kremlin, le monde d’aujourd’hui est dominé par les Etats-Unis, qui agiraient de  » la façon dont les nouveaux riches se comportent quand ils se retrouvent tout à coup avec une grande fortune  » – par  » grande fortune « , il faut entendre le vide laissé par la disparition de l’Union soviétique et, partant, du rapport de force. Cette situation insupporte Moscou, qui accuse son ennemi d’hier de manipulations.  » A la place d’Etats souverains et stables, ajoutait le chef de l’Etat russe, nous voyons la propagation croissante du chaos ; et à la place de la démocratie, il y a un soutien pour un public très douteux allant de néofascistes avoués à des islamistes radicaux, qu’il s’agisse des révolutions “de couleur” dans l’est de l’Europe, ou des soulèvements arabes. (…) Nos collègues ont essayé de contrôler plus ou moins ces processus, d’exploiter les conflits régionaux (…) en fonction de leurs intérêts, mais le génie s’est échappé de la lampe. «  Le chef du Kremlin, que l’on dit traumatisé par la fin de Kadhafi, en est persuadé : il pourrait lui-même être menacé.
 » Théorie complotiste  »
Cette théorie  » complotiste  » mise en avant n’est pas nouvelle. Vladimir Poutine en avait déjà esquissé les contours dès 2007, dans un discours sur la sécurité internationale prononcé à Munich, dans lequel il décrivait une  » guerre froide – qui – nous a laissé, pour ainsi dire, des “obus non explosés” « . Parmi ces derniers figure notamment l’élargissement de l’OTAN dans la sphère d’influence de l’ex-URSS, vécu comme une humiliation et une volonté délibérée de nuire. Mais la nouveauté réside dans le fait que la Russie est passée des paroles aux travaux pratiques en devenant elle-même actrice d’un chaos qu’elle impute à l’Occident.
Et tout est bon, désormais, pour déstabiliser un échiquier mondial qui ne lui convient plus. Annexion de la Crimée au mépris de l’indépendance de l’Ukraine, soutien aux insurgés prorusses dans l’est, stratégie de la tension dans d’autres régions (Moldavie, Transnistrie), manœuvres militaires tous azimuts, de l’Arctique au Pacifique. Sans oublier les attaques répétées contre des organisations internationales jugées sous influence occidentale.
Par l’entremise de son représentant, Anatoli Viktorov, la Russie vient de se déclarer  » préoccupée par la tendance à saisir le Conseil de sécurité de l’ONU sur les problèmes relatifs aux droits de l’homme dans tel ou tel pays « . Pour la première fois, elle a même paru vouloir remettre en question le contrôle de l’armement en renvoyant la responsabilité de la rupture aux Etats-Unis, qui  » se sont unilatéralement retirés du traité sur les missiles antibalistiques (ABM) en  2002 « .  » L’Ukraine (…) est l’un des exemples de ces sortes de conflits qui affectent l’équilibre international des puissances (…) De là émane la prochaine menace réelle de détruire le système actuel d’accords de contrôle des armements « , affirmait le président russe à Sotchi.
De ce paysage déstabilisé en profondeur, façonné  » en désordres incontrôlables « , et effrayé par les visées réelles ou supposées de Moscou,Vladimir Poutine espère tirer profit pour parvenir, selon ses mots, à  » un nouveau consensus mondial des forces responsables « . Rien n’est moins sûr.
 Isabelle Mandraud  Le Monde 22/11/2014

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Deux phénomènes peuvent amener à une manipulation dans la prise en compte des informations par notre conscience : --> Le mirage qui voile et cache la vérité derrière les brumes de la sensiblerie et de la réaction émotionnelle. --> L’illusion qui est une interprétation limitée de la vérité cachée par le brouillard des pensées imposées. Celles-ci apparaissent alors comme plus réelles que la vérité qu’elles voilent, et conditionnent la manière dont est abordé la réalité … A notre époque médiatisée à outrance, notre vigilance est particulièrement requise !
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