Chine – Gao Yu : Emprisonnée à plusieurs reprises, la journaliste est poursuivie pour « divulgation de secrets d’Etat »

LE MONDE | 22.11.2014

Le procès Gao Yu, symbole de l’intensification de la répression en Chine

aGao-YuLe procès à huis clos de la journaliste dissidente Gao Yu, jugée vendredi 21 novembre à Pékin pour « divulgation de secrets d’Etat à l’étranger », est révélateur d’une intensification des poursuites pour délit d’opinion dans la Chine de Xi Jinping.
Distinguée par des prix à l’étranger, Mme Gao, 70 ans, collaborait avec des médias hors de Chine (comme la Deutsche Welle) depuis son bannissement des médias chinois après la répression du mouvement de la place Tiananmen en 1989 – elle était alors vice-rédactrice en chef de l’Hebdomadaire de l’économie, un média libéral dûment autorisé en Chine à cette époque. Incarcérée à deux reprises, en 1989 et en 1994, Gao Yu est l’une des dissidents les plus connus qui se retrouvent cette année en prison, au côté du professeur ouïgour Ilham Tohti, récemment condamné à la prison à perpétuité, et de l’avocat Pu Zhiqiang, en attente d’être jugé pour « incitation à la subversion d’Etat ».

909027-economiste-respecte-enseignant-universite-minorites

Économiste respecté, enseignant à l’Université des minorités de Pékin et auteur de plusieurs ouvrages, Ilham Tohti était un observateur indépendant et écouté dans les chancelleries de la capitale sur l’évolution du Xinjiang, en proie à un regain de violences depuis l’an dernier.PHOTO ANDY WONG, ARCHIVES AP
« Il y a une conjugaison de facteurs qui fait que la répression est plus intense : les 25 ans de Tiananmen, l’APEC, le facteur Hongkong – celui-ci n’était pas prévu et il n’y a pas de doute qu’ils veulent frapper fort, comme lors de l’arrestation d’Ai Weiwei en 2011. Enfin, pour Ilham Tohti, le terrorisme au Xinjiang, même si M. Tohti n’a rien à voir avec ce dernier », explique un diplomate occidental à Pékin.
Les avocats de Mme Gao considèrent « qu’il n’y a pas de preuve suffisante contre elle », car « ses confessions ont été obtenues par la force ».
Mme Gao a plaidé non coupable, au terme d’un procès de quatre heures. Sauf que selon la jurisprudence en matière de procès politique en Chine, la défense n’a jamais gain de cause.
Coercition policière et judiciaire
Ce qu’a subi Mme Gao, mystérieusement « disparue » le 24 avril, atteste d’un recours sans vergogne à la coercition policière et judiciaire malgré les assurances renouvelées par le Parti communiste chinois (PCC) du « respect des lois » : le 8 mai, alors que personne n’avait de nouvelles d’elle, la journaliste était exhibée à la télévision chinoise en uniforme de suspect : elle est accusée d’avoir transmis « un document secret à des entités étrangères » et confesse devant les policiers « avoir nui aux intérêts de l’Etat ».
Cette mise en scène est alors analysée comme un signal à l’attention des milieux dissidents à l’approche des 25 ans de Tiananmen : « Son arrestation à l’époque est évidemment liée aux 25 ans », décrypte de Hongkong Jean-Philippe Béja, directeur de recherche émérite au CNRS. « Gao Yu est associée au réseau Hu Yaobang et l’aile réformatrice du PCC [dont le fils de Hu Yaobang, Hu Deping]. Le signal à l’égard de ces réformateurs qui se mettaient peut-être à espérer que les ennuis de Zhou Yongkang [l’ex-chef de la Sécurité publique, sous enquête] entraîneraient un changement de cap, c’est qu’il en est hors de question, que rien ne serait dit aux 25 ans. Bref, qu’il n’y a qu’une seule ligne, celle de Xi Jinping. La censure a d’ailleurs été sans précédent cette année pour l’anniversaire », poursuit le chercheur.
Dans la séance avec le juge qui a précédé le procès, dimanche 17 novembre, Mme Gao a dénoncé ses confessions télévisées : « Elle a expliqué que les autorités chargées de l’enquête avaient arrêté son fils, qu’elles l’avaient menacé, et que c’était la raison pour laquelle elle était passée aux aveux », précise au Monde juste avant le procès au téléphone l’un de ses avocats, Shang Baojun. Relâché après un mois, le fils de Mme Gao est toujours passible d’être arrêté pendant un an. La journaliste a bien été filmée par la police durant le processus, mais n’a jamais consenti à ce que ces images soient diffusées par la télévision.
Accusation de « nihilisme historique »
La cuisante ironie est que le crime de divulgation de secrets d’Etat, pour lequel Mme Gao vient d’être jugée, lui avait déjà valu six ans de prison en 1994 : « Les fameux secrets d’Etat se composaient de citations de Deng Xiaoping, largement reprises par la presse chinoise puisqu’elles formaient les bases de notre doctrine officielle en matière de politique étrangère. Quant à l’organisation ennemie qui avait récupéré ce bien si mal acquis, c’était le journal Mirror de Hongkong », explique son avocat d’alors, Zhang Sizhi, dans le livre que lui a consacré en 2013 la juriste française Judith Bout (Les Confessions de maître Zhang, aux éditions François Bourin).
Cette fois, le document secret en question – les avocats actuels de Gao Yu ne sont pas autorisés à en parler – est une circulaire du PCC, le document n° 9, supposément transmis par Gao Yu au site dissident Mingjing News (Mirror News), dont le magazine papier publie effectivement l’intégralité en septembre 2013 aux Etats-Unis. Son rédacteur en chef, Ho Pin, nie toutefois que Mme Gao le lui a transmis. En outre, son contenu a déjà largement circulé à cette date : la presse officielle chinoise rapporte dès le printemps 2013, sans nommer le document, les nouvelles instructions du comité central aux cadres subalternes. La presse étrangère lui consacre des articles entiers dès juin. Le document n° 9 liste… les moyens inventés par les « forces occidentales antichinoises » pour saper l’autorité du PCC et le renverser – de la « démocratie constitutionnelle occidentale » aux « valeurs universelles », en passant par le « nihilisme historique » (la mise en question de l’histoire officielle) et ordonne de lutter contre.
Brice Pedroletti (Pékin, correspondant) Journaliste au Monde

A propos kozett

Deux phénomènes peuvent amener à une manipulation dans la prise en compte des informations par notre conscience : --> Le mirage qui voile et cache la vérité derrière les brumes de la sensiblerie et de la réaction émotionnelle. --> L’illusion qui est une interprétation limitée de la vérité cachée par le brouillard des pensées imposées. Celles-ci apparaissent alors comme plus réelles que la vérité qu’elles voilent, et conditionnent la manière dont est abordé la réalité … A notre époque médiatisée à outrance, notre vigilance est particulièrement requise !
Cet article, publié dans International, Justice, est tagué , , . Ajoutez ce permalien à vos favoris.