Sur l’utilisation de la torture … : Marine Le Pen dans les pas de son père – Cette position est « cohérente » avec les positions fondamentales du parti d’extrême droite

LE MONDE | 11.12.2014 | Par Abel Mestre
Marine Le Pen dans la droite ligne de son père et de ses « dérapages » ? La présidente du Front national a provoqué un tollé, mercredi 10 décembre, en justifiant sur BFM-TV, dans certains cas, l’usage de la torture. Devant l’ampleur que prenait la polémique, Mme Le Pen s’est rétractée.

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Interrogée sur le point de savoir si l’on pouvait utiliser la torture « parfois », Mme Le Pen a répondu : « Oui, oui, bien sûr, cela a été utilisé dans l’histoire ». Puis, relancée par Jean-Jacques Bourdin, elle ajoute : « Quand une bombe – tic-tac, tic-tac, tic-tac – doit exploser dans une heure ou deux et accessoirement peut faire 200 ou 300 victimes civiles, il est utile de faire parler la personne (…) avec les moyens que l’on peut. » Pour Marine Le Pen, nécessité fait donc loi. « Je crois que les gens qui s’occupent de terroristes et accessoirement de leur tirer des informations qui permettent de sauver des vies civiles, sont des gens qui sont responsables », a-t-elle continué.
Très vite, la candidate à l’Elysée de 2012 a rétropédalé. Elle a ainsi précisé sur son compte Twitter : « Interprétation malveillante. Face au terrorisme, pas d’angélisme. Les moyens qu’on peut : les moyens de la loi, évidemment pas la torture. »
Un démenti qu’elle a réitéré dans la soirée lors de l’émission « Questions d’info », sur LCP en partenariat avec Le Monde, France Info et l’AFP. « Il ne faut pas faire d’angélisme sur ce sujet. On sait que ça existe, on sait également que la France n’a pas recours à la torture, et c’est très heureux qu’il en soit ainsi », a-t-elle affirmé.
Cette ligne de défense a immédiatement été relayée par les lieutenants de la présidente. Pour eux, tout cela ne serait qu’une sorte de complot « de la caste médiatique » visant à discréditer un Front national en pleine dynamique. « C’est artificiel et grossier. Depuis quelques semaines, on enchaîne les polémiques plus débiles les unes que les autres, s’énerve auprès du Monde Florian Philippot, numéro deux du parti. C’était d’abord le prêt à une banque russe, maintenant la torture. C’est fait pour que l’on ne nous entende pas sur le fond, sur la loi Macron, le chômage. » M. Philippot est néanmoins beaucoup plus clair que sa chef à propos de la torture : « On ne justifie en aucun cas la torture. Ce serait le meilleur cadeau à faire aux terroristes. C’est contre la loi et contre la morale. »
« Contre-productif »
marine Le Pen et son pérePour le député européen, le FN ne pâtira en aucune manière de ces propos. Au contraire, cela est « contre-productif » pour les opposants au parti lepéniste. « Les Français se rendent compte que l’on veut faire du mal à Marine Le Pen », assure-t-il. Toutefois, ces démentis n’ont pas empêché les réactions. La plus véhémente étant celle de Bruno Le Roux, le président du groupe PS à l’Assemblée nationale : « Ce cri qu’elle a eu ce matin, disant qu’il y a des moments où il faut faire parler, c’était la gégène de papa. Quand on est dans un parti qui fonctionne sur la préférence familiale, il y a une politique qui se fait de façon génétique. »
Cette sortie de Marine Le Pen est un véritable accroc dans sa stratégie de dédiabolisation. A trois reprises, déjà, la présidente du FN s’était placée au centre du débat par des déclarations fracassantes. La première, fin 2010, à propos des prières de rue de musulmans qu’elle comparait à l’Occupation. La deuxième, en septembre 2012, lorsqu’elle avait préconisé l’interdiction totale du voile et de la kippa dans l’espace public, y compris dans la rue. Enfin, la troisième, en novembre 2013, lorsqu’elle a laissé entendre que les otages français qui venaient d’être libérés avaient pu être « retournés » par leurs ravisseurs islamistes.
Bond en arrière
Ce nouveau faux pas risque de brouiller le message et la stratégie de Marine Le Pen qui s’échine à apparaître comme une femme politique crédible et responsable tandis que le FN enchaîne les bons résultats électoraux. Dimanche 7 décembre, le candidat du FN Bruno Subtil s’est qualifié pour le second tour de l’élection partielle de la 3e circonscription de l’Aube, éliminant le candidat socialiste. Et, avant de partir à la conquête de la présidence de la République en 2017, Mme Le Pen nourrit les plus grandes ambitions pour les échéances départementales et régionales de 2015.
Son succès, Mme Le Pen le doit en grande partie à ce nouveau visage qu’elle donne au parti d’extrême droite, plus lisse et moins caricatural que ne l’était son père Jean-Marie Le Pen. Or, en justifiant la torture, Mme Le Pen fait un bond en arrière de plusieurs années et renoue avec le FN des années 1980. Précisément tout ce dont elle a voulu se séparer lorsqu’elle a pris la tête du FN il y a trois ans.
Jean-Marie Le Pen, lui, a répété à plusieurs reprises que la torture pouvait être utilisée dans certains cas. Ainsi, en juin 2002, en réponse à des accusations de tortures qu’il aurait pratiquées en 1957, lorsqu’il était parachutiste en Algérie, il a affirmé lors d’une conférence de presse : « C’est un terme très vague, la torture. Ça commence où ? Ça finit où ? Les procédés d’interrogatoires musclés se trouvaient justifiés par le secret, qui était l’arme principale des terroristes. »
jean mlepen3Quelques mois plus tôt, M. Le Pen avait donné une interview retentissante au quotidien israélien de gauche Haaretz. Son argumentation de l’époque entre étrangement en résonance avec les propos de sa fille aujourd’hui. M. Le Pen y évoquait encore une fois les tortures lors de la guerre d’Algérie. « C’est très facile d’être critique quand on est assis dans son fauteuil (…). Nous n’avons pas écrasé les terroristes en étant gentils avec eux. La guerre contre le terrorisme est une chose brutale », insistait-il, tout en avouant qu’il préférait l’expression « interrogatoires poussés » plutôt que « tortures », car ce mot ferait « le jeu des terroristes ».
Enfin, en 1987, Jean-Marie Le Pen affirmait au Monde : « S’il faut torturer un homme pour en sauver cent, user de violences pour découvrir un nid de bombes, la torture est inévitable. »
A quelques mots près et vingt-sept ans plus tard, sa fille Marine Le Pen relaie le même discours. Elle s’en s’inspire. Pour Nicolas Lebourg, spécialiste de l’extrême droite et chercheur à l’université de Perpignan Via Domitia, la position de l’actuelle présidente du parti d’extrême droite sur la torture est « cohérente » avec les positions fondamentales du FN. « Le Front national est le seul parti dans notre démocratie à défendre le pouvoir de la politique sur les corps. En matière pénale, c’est la torture », affirme ce membre de l’Observatoire des radicalités de la Fondation Jean-Jaurès. Il ajoute : « Cela correspond à l’approfondissement de l’Etat qu’elle réclame pour les autres secteurs politiques et économiques. La torture est un signe de l’autorité de l’Etat. »
Abel Mestre Journaliste au Monde

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